En 2018, le griot et chanteur poly-instrumentiste burkinabé Kaito Winse est entré en collision avec le batteur / pure dataïst Benjamin Chaval (Bargou 08, Le jour du seigneur) et le guitariste Nico Gitto (Facteur Cheval, Zoft, Why The Eye ?). De ce télescopage est né  un alliage complètement nouveau appelé Avalanche Kaito. Avec sa guitare, Nico Gitto peut à la fois cimenter un morceau par son groove à la façon d’une basse, ou partir en dérapages expérimentaux avec pléthore de pédales d’effets. Benjamin Chaval produit une rythmique puissante et tribale, mais gère aussi la dimension électroniquePure Data » du son qu’il contrôle par des triggers (un trigger est un capteur placé contre une peau de frappe. Ce capteur convertit alors l'impact sur la peau en signal électrique envoyé à un module expandeur qui déclenche un son). Avec Pure Data, logiciel de programmation pour la création musicale et multimédia en temps réel, il est possible d'interfacer un programme avec le monde physique en utilisant des capteurs. 

Kaito Winse, quant à lui, s'exprime par proverbes qu'il déclame ou murmure mais il est également capable de partir en envolées free jazz à la flûte. Dans ce trio, toutes les compositions partent des incantations de Kaito puis deviennent collectives et libres. " C’est l’énergie du village qui est en moi et que j’amène en ville. Notre collaboration est une entité dans le présent qui essaie de s’adapter pour le futur. "
Une chance pour eux de créer un tout nouveau terrain de jeu riche et explosif : un métissage sans réel égal.
C'est le monde tel qu'il peut être maintenant : un monde d’artistes gardiens de la tradition et curieux de toutes les combinaisons technologiques qui se mélangent. Largement de quoi les désigner par ce terme de " multikulti " qui sonne si joyeusement.

Photo de Davide Belotti.
Depuis quelques temps déjà, nous suivons avec grand intérêt le réalisateur belge Simon Breeveld (ici et ), séduit.e.s par sa capacité à produire une 3D brute, vivante de l’intérieur, presque un peu " sale ", au rendu est déjà si personnel. Et la vision qu’il propose pour Toulele de Avalanche Kaito, est, une fois de plus, bien loin de l’esthétique courante classique . Son clip est le parcours en fuite continue d’une silhouette humanoïde spectrale, embarquée dans une expérience surréaliste. Ce personnage à l’aspect changeant, tombe dans un monde aux formes agitées de pulsions vraiment organiques, habité par des géants dominateurs. Ces colosses ont des couvre-chefs en forme de bâtiments qui rappellent à la fois le pays natal de Kaito, le Burkina-Faso, et Bruxelles, où le musicien réside depuis maintenant trois ans. Ainsi, la tête de l’un des géants semble être modelée d’après la tour-lanterne gothique de l’architecte flamand du XVe siècle Van Ruysbroek (qui orne l’hôtel de ville de Bruxelles). Un deuxième colosse arbore quant à lui un monument qui rappelle la mosquée de Dioulassoba. Deux mondes se côtoient, et le crossover sonique est symbolisé, entre autres, par cette double référence architecturale iconique
Nous avons voulu savoir comment Simon Breeveld s’y était pris pour arriver à ce résultat bluffant

Simon Breeveld : " Avalanche Kaito cherchait un.e clippeur.euse depuis un moment pour leur nouvel album. Yoann Stehr (ici dans Brainto) de chez Super Tchip (ici) est tombé dessus et il me l'a proposé. Très classique somme toute. Cela étant, ils m'ont bien cassé la gueule trois fois. Lors de la première écoute de l'album où j'ai paniqué : leur musique est tellement puissante que j'ai failli refuser en ne me sentant pas légitime de la mettre en image. Puis, j'ai eu la chance de les voir deux fois en live à l'AB (ici). Ce qui est un vrai plus pour booster la créativité en cours de réalisation. En live, ils sont vraiment très très impressionnants ". 

Simon Breeveld : " Ils voulaient que je sois fidèle à la signification du morceau. Ce qui est déjà un petit challenge étant donné que le texte est en langue Moré. Heureusement j'ai pu discuter avec Kaito du sens qu'il insufflait dans le morceau. Toulele, c'est un appel à revenir à la terre. La terre au sens large : le vivant, le sol, le ciel, la vie, la mort, etc. C'est l'histoire d'un roi qui ordonne à celles et ceux qui s'en sont détourné.e.s de s'y reconnecter
Je suis parti de là. Et cette ligne m'a guidé tout au long du processus ".

Simon Breeveld : " J'ai voulu y ajouter l'aspect rencontre du groupe. Sans en faire des caisses mais juste assez pour coller à l'identité de la formation. Je ne pouvais pas faire un clip 100% belge ou 100% Burkinabé. D'autant que je ne suis jamais allé au Burkina Faso et que je suis un blanc-bec Belge. Les questions de légitimité et d'appropriation culturelle me touchent énormément. Ça a été un vrai processus d'approcher le projet avec justesse. Comment explorer un univers que je ne connais pas ou seulement par des traces coloniales ? Et comment faire tout ce chemin en deux mois ? Ça m'a beaucoup pris la tête. J'espère que ça a payé et qu'on ne se pose pas la question en regardant le clip ". 

Simon Breeveld : " J'ai finalement décidé de travailler l'hybridité à l'image en séparant la géométrie 3D des textures. Par exemple, en utilisant les formes Google Map de Bruxelles et en les recouvrant avec les images satellite du Burkina Faso. Ce processus crée un univers décalé, littéralement le mélange des deux mondes ". 

Simon Breeveld : " Je voulais que les géants aient des monuments à la place de leur tête. Pour les choisir, j'ai décidé d'accepter mon point de vue forcément cliché sur le Burkina Faso et, pour compenser, de prendre le même point de vue cliché sur la Belgique. Ce sont des monuments que l'on trouve rapidement en tapant Belgique ou Burkina Faso sur Google. J'ai bossé, comme d'habitude maintenant, avec Blender pour la 3D et DaVinci Resolve pour le montage. Les personnages sont animés en motion capture ". 

Simon Breeveld : " C'était très agréable de bosser avec eux. Ils voulaient s'assurer que leur travail sur le glitch et l'imprévu soit respecté dans le clip. J'ai donc bien fait attention à laisser des erreurs/accidents à droite à gauche et à mettre le bouton glitch au maximum. Les voir en live a vraiment amené à une rencontre artistique en amont du projet. Ils ont l'air très contents du résultat. Ouf ! "

Un album est sorti le 7 juin 2022 sur le label Glitterbeat de Chris Eckman. " Magnétiquement à cheval sur plusieurs mondes, Avalanche Kaito est métal et chair, sang et biométrie, tradition et transition, le tout enveloppé dans un road trip chaotique. La route ouverte, le chemin qui mène du village natal de Kaito, Lankoé, dans un Burkina Faso enclavé, à Bruxelles, s'avère infiniment plus important, radical et créatif que la destination. "