Une répétition qui commence normalement mais tout dérape numériquement. Le groupe bruxellois Echt ! a de nouveau confié au réalisateur Simon Breeveld la mise en image délibérément très digitale du morceau “Permanent“ extrait de leur dernier album sorti en octobre. Ce groupe exclusivement instrumental —clavier-guitare-basse-batterie— produit un son qu’on pourrait appeler “électro-analogique“, comme de l’électro mais entièrement faite à la main. Dans ce clip, les corps et les mouvements des membres du groupe ont été modélisés en 3d et propulsés dans des dimensions inconnues et numériques pour laisser vivre cette dualité d’ambiances entre instrumental et électronique qui caractérise leur son.
Une Echt ! réussite (une “vraie“ réussite).
C’est l’histoire d’une "repet" qui vrille, on retrouve au départ les quatre instrumentistes dans leur local de répétition, et les dimensions de leur espace explosent. Pour ce faire, les quatre ont été "motion capturés" —leurs mouvements enregistrés numériquement— et leur enveloppe corporelle digitalisée en avatars. Ils gardent donc un air réaliste alors que leur environnement, lui, a complètement changé de dimension. Et ce mélange entre un son de véritables instruments qui jouent électro, et à l'inverse ces personnages digitaux qui jouent comme des humains, fait tout le paradoxe et la singularité de cette vidéo. C'est un profond enchevêtrement analogique/digital augmenté encore par le grain organique de l’image. Ce sont ces mêmes avatars que l’on avait déjà tellement aimé rencontrer pour "500gr" (réalisé par Simon), le premier clip de l’album. Dans lequel ils nous servaient de guides pour une intrigante visite de "Bxl" en forme de trip. Le jeune hypra-talentueux réalisateur Simon Breeveld, issu de l’Insas, qui a appris la 3D en autodidacte par Youtube, a choisi ce coup-ci de les catapulter dans un univers plus abstrait et déstructuré. Une étrange bascule dans des paysages mentaux stylisés, un périple parfois sombre et intérieur mais aussi lumineux et aérien comme leur musique ou comme nos rêves.
On a demandé à ce cher Simon Breeveld ce qui lui est passé par la tête. Et il nous a expliqué.
Simon Breeveld : "Echt ! est venu nous voir (chez Supertchip, la production) avec l’envie d’explorer une captation qui partait en vrille. En partant de cette base, je leur ai proposé d’enregistrer leur performance en motion capture. L’idée étant de commencer comme s’il s’agissait d’une simple captation genre "amateur" dans leur studio de répétition au Volta puis de basculer dans l’univers du morceau. J’avais vraiment envie de déployer l’aspect épique de leur musique".
Simon Breeveld : "Je ne travaille pas énormément sur base de références d’habitude. Sur ce projet, il y a cependant une scène de Blade Runner 2048 que je me suis amusé à singer parce que l’idée que j’avais était déjà trop proche pour ne pas franchir le cap de la citation. Le reste est surtout venu de la musique. Je bosse énormément à l’instinct. L’insecte, par exemple, m’est tout de suite apparu lorsque j’ai fait la première écoute du morceau. En le modélisant je me suis rendu compte qu’il avait la forme d’un médiator de guitare et j’ai continué dans cette direction. Le clip raconte peut-être quelque chose dans son abstraction mais je n’ai pas essayé d’y amener du sens. J’étais plus intéressé d’amener à voyager dans des mondes étranges".
Simon Breeveld : "Les univers partent simplement d’envies de déclinaison de la motion capture. Je voulais un mouvement de déstructuration. Le décor et les corps disparaissent petit à petit pour revenir sur des formes altérées qui font écho avec la musique. La scène stroboscopique reprend l’esthétique de la cover de leur album, basée sur des plans de découpe industriels. A la fin, on retourne au Volta où est leur espace de répétition".
Echt ! veut dire "vrai" ou "vrai de vrai". Tout belge connait la fameuse phrase : "Un echt brusseleir" ? (soit "le vrai Bruxelles" pour les non belges). Ces belges produisent une sorte de "zinneke" (personne ou musique d’origine mélangée) puisque dans le groupe, le mélange culturel est bien présent. Echt! se compose d’un Italien, de deux Montois et d’un Français. Martin Méreau à la batterie, Dorian Dumont aux claviers, Florent Jeunieaux à la guitare et Federico Pecoraro à la basse. Ils fabriquent cette musique "vraie" qui sonne plutôt comme de l’électro mais aussi comme du jazz et est entièrement faite à la main. Pour l'occasion, Echt! a enregistré la section de cuivres invitée, dans une église, pour offrir une réverbération naturelle et grandiose au morceau.
Simon Breeveld : "Je travaille principalement avec Blender pour la 3D, puis je monte et fait le compositing sur DaVinci Studio. Les deux programmes fonctionnent vraiment bien ensemble. Comme je monte au fur et à mesure mes rendus 3D, pouvoir avoir un aperçu quasi définitif est vraiment un luxe. DaVinci étant un logiciel d’étalonnage à la base, je peux vraiment travailler la texture de mon plan puis adapter, s’il faut, mon rendu dans Blender. J’ai voulu travailler un étalonnage pellicule pour ce clip, avec du grain, des défauts chromatiques et des bavures de lumière. Avec les outils de DaVinci ça a été très facile à atteindre et travailler. Clipper en 3D prend du temps. Avoir des outils rapides permet de fluidifier le processus. Pour la motion capture j’utilise un "smartsuit pro" de chez Rokoko.
Simon Breeveld : "Généralement je commence par écrire le clip sur DaVinci en notant ce qu’il se passerait à l’image en rythme sur la musique. Il s’agit surtout d’écouter ce que propose la musique et de créer une cohérence globale. En parallèle je fais des tests techniques de mes idées que je jette régulièrement dans la timeline pour voir ce qu’ils racontent sur la musique. Je garde tout au cas où. Et souvent, des plans préparatoires arrivent dans le clip final. Ici, mon premier plan a été celui du petit insecte puis la séquence stroboscopique. Il m’arrive souvent de tomber sur des options de Blender en cours de création qui s’imposent comme outil créatif pour une séquence. Jouer sur un seul curseur peut parfois faire un clip".
Simon Breeveld : "Avec Echt ! c’est toujours très chouette. Ils étaient contents de mon travail sur "500gr" donc ils ont continué à me faire confiance pour ce clip. La bonne surprise étant que "Permanent" était mon morceau préféré de leur album Inwane. La scène post-générique était une idée de leur part, c’était tellement drôle et absurde que j’ai accepté immédiatement".
Et bien, nos yeux et oreilles sont positivement ravis de cette collaboration enchevêtrée et amicale entre le digital et l’analogique. Ainsi qu’entre Echt ! et Simon Breeveld. A suivre absolument
Simon Breeveld : "L’artiste que j’ai envie de vous partager est Amon Tobin. Depuis que j’ai découvert son album Isam (sorti en 2011), je l’écoute en boucle dès que je me mets à peindre. Et comme je finis toujours par peindre pour réfléchir, il a une belle place dans mon imaginaire artistique."