Un rendez-vous hebdomadaire et dominical avec des peintres de la scène française se tient sur Twitch depuis 34 semaines maintenant, plutôt incongru, non ? C’est le peintre français Thomas Levy-Lasne qui passe à la question ses “collègues“ pendant une heure dans “Les Apparences“ et c’est passionnant.
On aime beaucoup le travail en peinture de Thomas Levy-Lasne, avec ses surprenantes séries dont certaines parlent de nos rapports aux écrans, on a déjà publié sur son travail là, là et là. "Les Apparences“ est une initiative issue d'une trop bonne idée —mais pas en peinture ou dessin cette fois-ci— elle s’adresse à des gens comme vous et nous, curieux de fonctionnements créatifs. C’est une sorte d’"émission" régulière lancée sur Twitch —plutôt une plateforme de gamers au départ— dont l’ergonomie permet facilement l’intégration dans la même image de peintures d’une part et de Thomas Levy-Lasne avec son invité / collègue d’autre part. Dans "Les Apparences“ —un genre de "collègue" de Brainto— chaque artiste invité détaille les ressorts et les étapes de sa propre démarche dans toute la convivialité détendue d’une conversation. On a plutôt l’impression de rentrer tranquillement dans la cuisine des peintres, et nul besoin de connaitre parfaitement la "scène" de la peinture contemporaine française pour comprendre les propos et être captivé par la vitalité et la diversité de cette communauté.
Votre (futur) rendez-vous du dimanche a un déroulé simple et imparable, chaque peintre parle successivement de 5 de ses peintures, des œuvres-clés dans sa vie d’artiste. Les peintures sont bien sûr montrées parallèlement. Puis, bonne idée encore, il doit choisir une peinture qu’il aime et une qu’il n’aime pas d’un autre peintre et en parler. Enfin, il partage avec nous en toute générosité ses références dans d’autres médiums, musique, littérature, cinéma. Il suffit de cette mécanique basique et ingénieuse pour très bien comprendre en pratique le cheminement de chacun.
Sans oublier les interventions et rires très communicatifs de l’hôte Thomas Levy-Lasne qui agrémentent joyeusement l’échange.
On se sent bien avec eux, et c’est la vie d’atelier qui s’ouvre sans façons.
"Les Apparences“, tous les dimanches à 18h sur Twitch en direct, et tous les replays sur la chaine YouTube.
On s’est interrogé sur ce qui avait dérouté Thomas Lévy-Lasne vers ce projet en ligne.
Alors on lui a demandé.
Thomas Lévy-Lasne : "J’ai commencé ces interviews pour faire vivre une exposition de cinquante peintres vivants de la scène française à Perpignan que j’organisais dans l’été 2021. C’était un pari de faire parler des peintres une heure en direct sur la plateforme Twitch de leurs œuvres et de leurs goûts. (en publiant la rediffusion sur une chaîne Youtube). Twitch amène une légèreté d’exécution qui m’intéressait, la forme est modeste, mais se tient, je crois, et aujourd’hui tout le monde a appris à discuter par écran. J’ai profité de l’expérience de mon petit frère Nils L.L., peintre lui-même, il réalise toutes les émissions de Nantes. Avec le temps, les spectateurs souvent fidèles du Live rentrent de plus en plus en contact avec l’artiste invité (par le chat, les spectateurs peuvent poser des questions). Mon idée était une envie, envie de partager ce que je connaissais de la vitalité de la scène française, pas assez utilisée à mon goût par les médias ou le monde de l’art".
Thomas Lévy-Lasne : "La conception du dispositif s’est faite très vite et très simplement sous forme d’un questionnaire répétitif pour chaque invité. Je fais confiance dans la parole de chacun, les 34 interviews m’ont donné raison pour l’instant. J’ai pris le parti de ce qui me manquait ailleurs, pas de question d’argent, pas d’histoire de galerie ou de pouvoir, pas de question sur le monde de l’art, mais bien la vie d’atelier, l’humilité du faire, l’évolution du travail, le goût. Je reste convaincu que ceux qui font l’art aujourd’hui, c’est encore et surtout les artistes.
Thomas Lévy-Lasne : "C’est évidemment une prise de risque de se mettre en avant pour présenter un autre artiste. J’avais envie d’essayer de secouer un peu les règles. Je me sens, un peu comme tout le monde, éloigné de ce milieu (de l’art), alors pourquoi ne pas jouer à d’autres jeux ? Ça m’informe sur beaucoup de choses, j’apprends toujours de ces interviews, et puis il y a beaucoup de joie à chouchouter un artiste. Un artiste c’est profondément généreux, alors mis dans des bonnes conditions, c’est un feu d’artifice d’humanité. Cet enthousiasme me donne beaucoup d’énergie. Pour mon travail personnel, ça se fait plus dans le long terme, mais je ne sais pas sortir indemne d’une expérience. Cela me pousse aussi à croire qu’il y a des très grands potentiels dans le collectif. Il y a une grande vitalité de la peinture en France, elle est clairement inexploitée. Je me permets juste de montrer ce que je vois en espérant que ça donne des idées à d’autres".
Thomas Lévy-Lasne : "Pour l’instant j’invite des artistes professionnels dont j’apprécie vraiment le travail. Il y a toutes les générations. J’en connaissais beaucoup personnellement, je commence à oser demander à des peintres que je n’ai jamais rencontrés comme Lise Stoufflet, Denis Laget ou Nina Childress et bientôt Philippe Mayaux, Hervé Di Rosa ou Marc Desgrandchamps. Cela ne me demande pas de travail de préparation, cela fait vingt ans que je regarde la peinture de beaucoup de peintres. Il y a clairement un biais qui est celui de mon univers, j’attends d’avoir un peu plus le temps de préparer les émissions pour inviter des artistes qui me sont moins proches ou trouver encore d’autres options. Il y a clairement un gros réservoir, ça, ça n’est pas du tout le problème ! Il y a trois ans, j’avais organisé une conférence un peu speed dating à la Villa Médicis à présenter 120 peintres en moins de deux heures, et il y en a plein qui manquent" !
Thomas Lévy-Lasne : "Pour l’instant, on est partis sur cinquante interviews à ce rythme jusqu’à fin juin. Je ne pense pas arrêter, mais peut-être changer la forme, ça dépendra beaucoup de l’emploi de mon temps qui est déjà bien saturé. J’aimerais beaucoup parler d’actualité éditoriale autour de l’Art également. C’est l’avantage de ce support léger, il est souple, j’ai pu faire ces émissions du Vercors ou d’une chambre d’hôtel en 4G par exemple".
Thomas Lévy-Lasne : "Ces émissions me demandent entre 4 et 5h par semaine, le reste du temps, c’est la peinture. Je prépare Art Brussels et Art Paris avec ma galerie Les filles du calvaire en avril prochain et, déjà, une exposition personnelle pour 2024. J’écris également les pages Beaux-arts dans un magazine de mode Citizenk, cela me permet de faire des articles de fond, un peu des interviews de morts, sur des artistes comme Gérôme, Rosa Bonheur ou plus récemment Eugène Carrière".
La dernière exposition qui m’a bien secoué, c’est l’exposition un peu rétrospective des photographies de Patrick Faigenbaum. Surtout les portraits de sa mère : au milieu du scandale des Ehpad, constater sa présence brumeuse, sa vie résumée dans les nœuds de ses mains, l’ombre dans laquelle elle s’efface presque déjà, il y a quelque chose de très simple qui sonne juste à en pleurer.
"Les Apparences“, tous les dimanches à 18h sur Twitch en direct, et tous les replays sur la chaine Youtube.
Dans "Les Apparences“ il y a déjà : Mireille Blanc, Jean Claracq, Eva Nielsen, Jean-Philippe Delhomme, François Boisrond, Simon Pasieka, François Pétrovitch, Olivier Masmonteil, Jean-Baptiste Bernadet, Cyrielle Gulacsy, Julien Beneyton, Katia Bourdarel, Marine Wallon, Youcef Korichi, Marion Bataillard, Mathieu Cherkit, Cecila Granara, Nathanaelle Herbelin, Claire Chesnier, Philippe Cognée, Laurent Proux, Eric Corne, Damien Cadio, Romain Bernini, Axel Pahlavi, Guillaume Bresson, Lise Stoufflet, Amélie Bertrand, Denis Laget, Anthony Verot, Marlène Mocquet et Bilal Hamdad, Nina Childress.
Et puis programmés et à venir : Marc Desgrandchamps, Florence Obrecht, Hervé Di Rosa, Philippe Mayaux, Damien Deroubaix, Henni Alftan, Julien des Monstiers ou Apolonia Sokol.