Vincent Castant est vraiment un touche-à-tout doué qui nous plaît beaucoup depuis un bon petit bout de temps, aussi on vous en avait déjà parlé ici ou . Sous le nom Ouai j'vois Ouai, il fait de la bédé, il est aussi réalisateur de clips, de films courts, même de documentaires, sans oublier la sculpture, le tout toujours de façon drôle. Avant de lui laisser la parole puisqu’il a accepté fort gentiment de nous raconter dans le détail la genèse de ce clip de plage et de nous parler de l’ensemble de ses activités, faisons un petit tour par la cabane dans les montagnes de S8JFOU. Non, il n’est pas fou et vous allez probablement à la fois vous mettre à l’écouter (comme nous), et être épaté (comme nous) de son choix de vie plutôt radical. Il raconte ça sur son site.

Photo : Herb Dolphy Co.

S8JFOU : " Né dans les années 90 en France, j'ai grandi près d'un piano. Mon oncle m'a donné une vieille batterie quand j'avais 9 ans, et je l'ai frappée jusqu'à ce que la caisse claire et les toms craquent. En 2009, j'ai découvert Ableton Live après avoir passé quelques mois à essayer de faire quelque chose avec Garageband. Et c'est là que tout a commencé.
J'ai arrêté l'école à 14 ans. Je n'ai aucun diplôme, certificat ou autre. Je n'ai jamais étudié la musique ni même travaillé avec un professeur de piano. J'essaie juste des choses qui me plaisent. Mais la musique a rapidement retenu toute mon attention.
Maintenant, toute ma vie est faite de musique. Je suis sûr que si un jour je deviens sourd, je mourrai naturellement en une semaine. "

Photo : Ivan Lepays

S8JFOU : " En 2017, j'ai acheté un terrain en montagne pour fuir les grandes villes et la civilisation que je ne comprends pas vraiment. En 2018, pendant 8 mois, j'ai construit une cabane de 8m2. Et c'est ici que je vis la plupart de l'année maintenant, et que je fais ma musique. J'ai un petit panneau solaire, je me chauffe avec un poêle à bois, je cuisine aussi sur ce poêle, je bois l'eau naturelle des montagnes proches de ma maison, et je marche jusqu'au magasin pendant 3 heures à travers la forêt pour acheter de la nourriture quand je suis fatigué de manger des champignons.
Voici une vidéo (ci-dessous) sur le processus de construction. Pendant ces 8 mois, j'ai dormi sur un hamac sous une bâche, en haut des arbres. "
Et depuis sa montagne, il partage gentiment ses gouts musicaux : ne vous privez pas d’aller faire un tour sur sa page discover, c’est généreux et inspirant. Il n’y a pas à dire, il est accueillant ce S8JFOU !

Comme ce sont tous les deux des artistes qui savent très bien s’exprimer également avec des mots, pour cet article nous n’avons finalement pas grand-chose à faire, à part leur laisser la parole. Passons maintenant la parole à Vincent Castant qui va nous raconter la conception de Soft de façon détaillée et drôle comme tout ce qu’il fait.
Vincent Castant : " L’idée que j’avais au départ était totalement différente du résultat final. En réalité, l’objet présenté est la deuxième vidéo que j’ai réalisé pour cette track. Musicalement, Soft a été créé avec seulement deux outils ultra basiques d’Ableton : Operator et Echo. S8JFOU a utilisé ces deux outils élémentaires de création sonore au maximum de leur potentiel pour composer son album. C’est à peu près comme s’il avait construit une maison avec seulement un marteau et un clou.

Vincent Castant : " Mon idée initiale était d’imiter cette démarche « pauvre » et d’utiliser le minimum d’outils possible pour réaliser le clip. Une approche très technique donc. L’esthétique généralement associée à ce genre de musique est très froide et sérieuse, le plus souvent abstraite et pleine de zéros et de uns. Du Data Art en gros. Ce n’est pas vraiment mon créneau, mais je voulais me plier à l’exercice et faire évoluer mon style. Donc pourquoi ne pas partir dans cette direction ? J’ai commencé à faire les premiers tests, et je me suis rapidement rendu compte que cette démarche m’était trop restrictive et que ce qui en sortait ne me satisfaisait pas. 
J’ai donc complètement changé de direction pour faire un clip-balade, avec une caméra qui vole au-dessus de montagnes remplies d’animaux qui dansent. Parce que pourquoi pas ? J’ai fait trois minutes de clip comme ça (la track dure quatre minutes et vingt-neuf secondes). Avec mille outils différents, des centaines de paramètres à gérer, en 2D et en 3D. Ça m'a pris un temps fou, pour un résultat que je trouvais pas mal, mais sans trop de conviction. J’ai envoyé ces trois minutes à S8JFOU, qui a mis deux semaines à me répondre un mail beaucoup trop long où il prenait plein de pincettes pour ne pas me vexer. À ce moment, j'ai failli laisser tomber. Mais je me suis dit hé ho, Vincent, tu sais que tu peux faire mieux, c’est pas possible d’abandonner, il faut que tu sortes un truc bien, il n’y a pas d’autre choix. "

Vincent Castant : " J’ai donc recommencé à zéro une troisième fois. J’ai repris des images tournées à la plage à côté de chez moi il y a quelques années pour un autre clip (Choubidouwa sur une musique de Clément Metayer) et j’ai commencé à déformer les corps des plagistes, à les démembrer. J’ai trouvé les premiers résultats bien plus satisfaisants que tout ce que j’avais fait jusqu’alors. C’était beau et dérangeant à la fois, calme et dense, ensoleillé et froid, ça venait apporter une nouvelle esthétique au genre musical, j’ai été très séduit. " 

Eh, bien, oui il faut parfois s’embourber plusieurs fois avant de trouver un beau chemin tout tracé dans la montagne ou vers la plage.
Vincent Castant : " J’ai alors décidé de développer cette idée tout le long du clip en faisant danser les corps démembrés des plagistes de manière parfaitement synchrone avec le son. Je leur ai coupé la tête, au départ pour des questions de droit à l’image. Mais au fur et à mesure de la confection du clip, j’ai trouvé que le clip posait plusieurs questions sur des sujets tels que le droit à l’image, mais aussi le voyeurisme, l’identité, les corps et la nudité, la danse, l’étrangeté, les vacances. À travers une recherche technique, des questionnements sur des sujets de fond se sont imposés, sans qu’il n’y ait besoin de discours ou de prise de position, juste de la contemplation et de la fascination. Moi, ça me va parfaitement. " 

Vincent Castant : " J’avais rencontré S8JFOU lors d’une résidence où Neniu (ici) m’avait invité pour faire une vidéo avec lui. Ils faisaient de la recherche musicale ensemble. On s’était simplement croisés, mais on s’était très bien entendus et je lui avais filé un exemplaire de ma première bande dessinée. Puis nous avons perdu contact jusqu’à ce qu’il me propose de réaliser un clip pour l’album qu’il sortait. J’ai pu choisir la track que je voulais et j’avais carte blanche. Idéal. 
Nous ne nous sommes pas vus, simplement quelques appels. J’ai travaillé dans mon coin, comme à mon habitude. Au bout d’un certain moment je lui ai envoyé ce que j’avais fait sur ma deuxième tentative de clip, qu’il a trouvé médiocre et que j’ai donc laissé tomber. Puis je lui ai envoyé une minute de ma troisième tentative et là c’était bon. Enfin, je lui ai envoyé l’intégralité du produit que nous avons considéré comme fini. Très peu d’aller-retours donc, ce qui n’est pas pour me déplaire. " 

Et comme il est généreux Vincent, il raconte tous ses étapes de fabrication pour les curieux.
Vincent Castant : " Après moultes recherches, j’ai finalement opté pour un emploi de techniques très basiques où tout est géré manuellement. J’ai pour base des vidéos de plagistes en plan fixe. Enfin quasiment, car j’avais filmé à la main avec un vieux Canon, donc ce n’est pas complètement stable. J’ai ensuite stabilisé ces images, d’abord avec le Warp stabilisateur d’After Effects, puis manuellement, image par image. " 

Vincent Castant : " Ensuite, ça dépend des plans, mais en général j’ai gardé une ou deux secondes de vidéo avant de freezer l’image. J'importe l’image freezée dans Photoshop. Je sépare le corps du fond. Je découpe les différentes parties du corps et recompose les parties manquantes. Pareil pour le fond. J’obtiens donc une douzaine de calques pour les corps, et trois ou quatre pour le fond. Je réimporte ces calques dans une nouvelle composition After Effects et donne à chaque calque du corps un point de rotation adapté et les parente les uns aux autres. Puis je les anime manuellement, calque par calque, en donnant un mouvement lent et illogique mais organique en modifiant leur rotation, leur position et leur taille. Ces mouvements durent le temps qu’il y a entre deux claps, c’est à dire une demi-seconde à peu près. J’essaye qu’entre chaque mouvement il y ait une certaine continuité, un peu comme si on faisait des cuts dans une vidéo en slow motion. Je me suis amusé à calculer : il y a environ 700 actions à gérer chaque seconde pour faire bouger chacun des corps. Pour le fond c’est plus simple, car il ne s’y passe pas grand-chose, juste quelques éléments qui bougent. Quand il y a des gens qui passent devant le sujet, je les découpe en vidéo et les place quand bon me semble, ou pas. Sur les plans où il n’y a pas de corps qui dansent, j’ai juste découpé les têtes des corps en mouvement et recomposé les fonds. En gros, c’est un travail artisanal, long et minutieux, qui pour l’instant ne peut pas être fait par des machines. " 

On vous l’avait présenté comme un fébrile touche-à-tout, en voici l’éclatante démonstration, il ne tient pas en place.
Vincent Castant : " En ce moment, j’effectue des travaux de commande en vidéo d’animation. Je produis et réalise une série de 24 mini-documentaires sur les artistes contemporains de la collection d’art contemporain du Bon Marché. C’est un exercice que j’aime beaucoup, déjà car je fais tout par moi-même et que la relation avec le Bon Marché est top, mais aussi car j’apprends énormément de choses sur l’histoire de l’art et que ça m'ouvre de nouvelles cases. Par exemple, je me suis pris de passion pour l’abstraction géométrique, discipline qui me laissait plus que septique jusqu’alors. Mettre des carrés rouges sur un fond bleu, en fait, c’est bien. " 

Et en voici deux autres exemples ici et .
Vincent Castant : " J’en ai encore pour quelques mois, et j’enchaînerai ensuite sur la finalisation de mon deuxième album de bande dessinée, qui sera un long roman graphique qui se passe sur le Titanic. Je n’en dis pas plus. Je vais également reprendre les petits strips de BD aussi, que je publierai sur mon Instagram laissé en jachère depuis deux ans. "

Vincent Castant : " J’ai aussi deux projets de podcast, mais j’ai surtout pour projet de faire mon premier long métrage. J’ai eu une révélation il y a quelques semaines, je connais déjà l’histoire et je sais que ça va être super. Je planche sur l’écriture du scénario, car pour une fois, j’aimerai le faire produire par quelqu’un d’autre que moi, et que j’ai besoin de moyens et d’une équipe pour m’épauler. Si tout se déroule correctement, vous verrez ce film en 2024 - 2025. Je sais que ça fait beaucoup et que je m’éparpille un peu, mais j’ai envie de reprendre la création en volume et de poursuivre la série de sculptures en bronze que j’avais débuté avant le covid.
Chaque chose en son temps, mais un peu tout mélangé quand même. " 

On a demandé à Vincent Castant de nous citer quelques artistes dont il aimait le travail :
Vincent Castant : " Il y a ici au Pays Basque de nombreux artistes de talent dont le travail est méconnu et qui méritent d’être mis en lumière (Ndlr : Vincent Castant est de Biarritz). Je pense par exemple à Iouri Camicasqui fait principalement de l’image, il mène une réflexion sur l’existence, notre relation aux machines et au rythme de l’univers. Son travail est particulièrement minutieux et intelligent. " 

Vincent Castant : " Et je terminerai sur Arno Labatartiste visuel, qui, je trouve, fait les plus belles affiches de notre époque et qui se met à travailler avec des IA, et je trouve ça bien beau, ma foi. "

Et nous de terminer à notre tour avec S8JFOU, écoutez-le, c’est super !