Cette série de chiens “détronchés“ à haut potentiel comique - postée sur Instagram - est l’hameçon rêvé pour vous amener à pénétrer dans l’antre du “photographe“ sérial découpeur-retoucheur Robin Lopvet. Comme il veut montrer qu’il a passé beaucoup, beaucoup de temps sur ses retouches, il a décidé de les rendre visibles et exagérées. Quelle bonne idée. 

Dans cet article, on va faire un petit tour main dans la main à travers la production dérangée, présente et passée de Robin Lopvet. Aujourd'hui installé à Arles, il travaille comme retoucheur photo pour les marques de luxe. Et il réalise ses "œuvres" personnelles - des images aux coutures apparentes dans son style particulier - dans le garage de sa maison. 


Ci-dessus : Autoportrait.
C'est là qu'il découpe - détoure - détricote - recompose des photos, les siennes ou récupérées, pour leur donner un nouveau sens, en utilisant souvent des bouts de corps humains distendus - étirés - effacés - multipliés. Pour lui, une bonne retouche est une retouche qui se voit bien, totalement exagérée, en fabricant de ce fait une image surréaliste et grandement improbable.

Comme sa matière première est photographique, l’effet produit sur nous est assez particulier. Car nos cerveaux conditionnés perçoivent encore les images de Robin Lopvet comme des photos, c’est à dire du réel. Mais en même temps, notre cerveau, il se dit aussi que c'est un réel sacrément tordu et insensé qui est proposé par Robin Lopvet. La forme dit au cerveau que c’est du vrai, mais le fond lui dit que c’est impossible. Une sorte de lutte neuronale qui génère un effet ultra comique ou un sérieux malaise. Voire éventuellement les deux en même temps. 
Côtoyant avec grand plaisir les images de Robin Lopvet depuis un certain temps déjà, nous nous sommes dit qu’il était grand temps de lui poser quelques questions. Et comme il a répondu gentiment, on est fort contents.

Robin Lopvet : "J'ai commencé cette série par hasard. Effacer des visages de chiens dans des photos d'archives a créé un sentiment de présence étrange, je ne sais pas où ça va et ce que ça me fait penser, mais je me sens bizarre en les regardant, donc c'est probablement bon".

Robin Lopvet : "Je m’inspire principalement de ce qui traverse mon champ de vision, des objets proches. Les chiens c’est différent, c’est de l’image d’internet retravaillée. C’est comme du brouillon pour moi. Je cherche des formes, et ça va plus vite de trouver des images sur internet. Quelquefois, cela donne des choses qui sont valables en tant que telles. L’accident fait partie du processus“
Une petite (et parfaite) auto-présentation de Robin Lopvet s’impose avant poursuivre.

Robin Lopvet : "J’avais commencé un cursus de classes préparatoires aux écoles d’ingénieur (math sup) mais je n’aimais pas ce que je faisais, ni l’état d’esprit général. Je me suis intéressé pour la première fois à l’art à ce moment-là, car c’était le seul domaine qui ne me rebutait pas. Plus je m’y intéressais, plus ça devenait intéressant. J’ai passé ensuite des concours pour rentrer aux Beaux-Arts".

Robin Lopvet : "Je me suis mis à pratiquer Photoshop avant même d’avoir un appareil photo. J’y ai tout de suite vu un outil contemporain hyper performant. J’ai trouvé frustrant le fait de pouvoir passer dix heures sur une image pour que le résultat ne se voie pas. J’ai alors développé l’idée d’une retouche visible". 

Ci-dessus, série "Totem".
Robin Lopvet : "La série "Totem" est une commande que j’ai eu par Vice NY pendant le confinement, j’étais donc chez moi, avec un ami qui est resté les deux mois. C’est lui qui fait le modèle pour la plupart des images. Pour le coup j’ai revisité pas mal mes archives, et les images que j’avais pris en extérieur avant. Je voulais quelque chose de très ancien, païen, sacré. Terreux. Et en même temps avec un côté technologique, contemporain, décadent". 

Ci-dessus, série "Totem".
Robin Lopvet : "Il y a d’abord une étape de prise de vue. Aujourd’hui je travaille quasiment uniquement en studio, mais ça fait qu’un an, c’est assez récent. Avant, j’allais partout avec un appareil compact. 
Ensuite il y a une étape de "digestion" où je choisis et édite mes images. Je peux aussi bien retravailler des images faites il y a longtemps". 

Ci-dessus, série "Totem".
Robin Lopvet : "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Cette formule résume pour moi toute la création artistique. Une nouvelle production peut être résumée comme un assemblage de deux choses préexistantes. Le collage est finalement la seule forme de création.
Tout ce que je fais se rapproche d'une immense et sérieuse parodie, sans cynisme.
Comme une constante d'un manque général de sens et de saveur. Notre monde est plein de formes et de matériaux à récupérer, transformer, détourner. C'est juste un jeu de langage. Il suffit de se baisser pour les ramasser, de les démonter, de les bricoler et de les remonter.
Nous sommes devenus des couteaux suisses, des boîtes à outils. Quel que soit le support, le processus reste le même.
Je documente la transformation de la société de consommation en société de valorisation.
Tout est fait à la main, bricolé. Puisque la maîtrise technique n'a plus d'importance, que nous pouvons nous entraîner dans tout depuis la maison, le monde est à la portée de toute personne disposant d'une connexion Internet".

Robin Lopvet avait déjà été inspiré par nos amis canins pour cette série - "D.O.G.S : Dangerous Objects Growing in the Sky" -  qui lui a valu une sorte de notoriété mondiale par viralité. 
Robin Lopvet : "D.O.G.S. est un projet de collages numériques associant des têtes de chiens venus d’internet avec des nuages, catastrophes naturelles ou grands faits historiques. Une tension se créé et désamorce le côté angoissant et paralysant des images choc".
Ce projet existe sous plusieurs formes : originellement posté sur Instagram, une de ces images (le mème "Dust Storm Dog") est devenue virale et a été publiée dans le monde entier. Un livre a été édité par les Editions de la Vie Moderne, et les images existent en NFT".

Ci-dessus, série "Là d’où je viens".
Remontons un peu en arrière avec cette série "Là d’où je viens" réalisée sur Épinal, sa ville d’origine. Entre photomontages et vidéo, il restitue le ressenti d’avoir passé son enfance et adolescence dans les blocs de cette ville. La vidéo est un drôle d’objet expérimental documentaire à la fois sensible et personnel mais aussi foutraque et caustique.
Robin Lopvet : "C’est un projet autour de ma ville et de mon milieu social d’origine. Le projet est sérieux pour une fois, mais un peu bancal. Je ne sais pas si c’est très intéressant de parler de soi dans un projet".

Puisqu’on en est à faire un tour complet dans le travail de Robin Lopvet, terminons par les débuts et donc, un film d’école. Une vidéo réalisée à New York, pendant un post-diplôme de trois mois à l’International Center of Photography (ICP) entre octobre et décembre 2015, et deux semaines en novembre 2016. Une drôle de démo animée de retouches d’image qui peut vous faire office de tuto, qui sait ? 
Robin Lopvet : "Ayant habité uniquement dans des petites villes de province avant ce post-diplôme, j’ai été particulièrement surpris de me trouver dans cette métropole gigantesque, monstrueuse, avec un flux énorme de gens, d’énergie, d’argent. Ses constructions démesurées, les différentes strates de la récente histoire qui s’empilent et restent visible, comme des couches de peinture premier prix. J’y ai observé une dialectique de construction et déconstruction, de puissance et de fragilité.
Pour rendre compte de cela, j’ai utilisé une technique d’animation que j’ai mis au point, en détournant les outils de Photoshop, pour faire de l’animation en image par image.
J’ai voulu créer un objet massif, à l’image de la ville, d’une heure".

Robin Lopvet : "Je travaille depuis un an sur un nouveau projet, je fais des natures mortes à partir de déchets.
Je fais des compositions en grand format avec une multitude de détails, pour retourner à une forme de tableau
Un retour à une pratique qui gagne à être vue en vrai, ou internet n’est plus suffisant.
J’exposerai une première partie de cette recherche au salon Jeune Création, à Romainville, du 30 avril au 15 mai".

Ci-dessus, autoportrait.
Robin Lopvet : "Je voudrais partager avec vous le travail de Roman Signer. Il est très bon pour détourner les usages d’objets du quotidien en quelque chose de drôle et d’absurde. Il y a quelque chose de très ludique dans son travail, et il arrive à donner une impression de simplicité. C’est très fort". 
Roman Signer est un artiste contemporain suisse dont la pratique inclut performance, vidéo, sculpture, installation, photographie.

Comme nous aimons vraiment bien ce que mijote ce cher Robin Lopvet, nous ne manquerons pas d’aller voir de plus près son nouveau projet au salon Jeune Création et de vous en rendre compte. 
Vous avez lu qu'il a dit que cela gagne à être vu en vrai, donc on espère bien vous y croiser, donc…