Quand il doit sortir un banger aux samples redoutables comme "Looking at Your Pager", celui que vous avez pu aimer sous le nom de Four Tet redevient Kieran Hebden ou plus simplement KH. Le dernier en date était "Only Human"(ici), publié le 12 avril 2019. Ce nouveau recèle à l’intérieur un bijou d’échantillons du morceau "No More (Baby I’ma Do Right)" du groupe 3LW, régressif et obsédant comme on aime. Kieran Hebden a sélectionné certaines paroles, pitché les voix des trois chanteuses, ajouté ses rythmes de House et de Garage UK, donnant lieu à un potentiel tube à l’énergie contaminante.

Pour la partie visuelle, c’est la pointure créative multidisciplinaire Trevor Jackson qui a été contactée par KH et Ministry Of Sound (ici) pour gérer une campagne, une pochette de single, un clip, du matériel marketing, bref un concept global. Le tout en dix jours. Trevor Jackson a à son actif des pochettes de disques emblématiques d'Eric B et Rakim à Rapture en passant par Chromeo et Tame Impala, mais aussi les clips de Matias Aguayo et la conception graphique pour de multiples marques de mode. Sans oublier d'incroyables productions musicales sous les noms de Playgroup (ici), Underdog (ici) et Pink Lunch (ici) ou, dans un beau mélange de genres, les mixes qu’il publie de temps à autre sur NTS (en bas d’article). En résumé, Trevor Jackson est un monsieur touche-à-tout plutôt intéressant, à la longue carrière, et son champ englobe donc la mode, la culture des clubs et le design graphique.

Pour Looking At My Pager, Trevor Jackson exploite une idée toute simple. Tout comme KH a samplé No More de 3LW pour ce single, Trevor a fait du "sampling visuel" de la pochette du disque de 3LW sorti le premier novembre 2000. Puis il s’est mis au diapason de la nature lo-fi de la musique de KH à l'aide d'un assortiment de technologies dépassées (que vous détaillons ci-dessous). Trevor Jackson a abstractisé les images récupérées de 3LW, de sorte que des visages et des formes vagues apparaissent cachés sous des couches de code. L’ensemble devient une animation graphique abstraite, d'où émergent parfois quelques images plus identifiables. Suivant le support de visionnage que vous utilisez, la perception varie très fortement. Sur de grands écrans de bureau, vous serez plutôt dans un voyage optique viscéral tendant franchement vers l’abstraction, mais devant une image plus petite du type smartphone, vous vivrez une expérience un peu plus figurative en distinguant facilement les silhouettes d’origine des 3LW.

Pour coller à cette esthétique de petits écrans LCD des vieux appareils numériques, Trevor Jackson s'est coltiné un logiciel de codage obsolète : un vieux générateur ASCII (l'American Standard Code for Information Interchange, ou ASCII, est une norme informatique de codage de caractères apparue dans les années 1960). Vous pouvez encore maintenant coder n’importe quelle image en ASCII via ce site par exemple. Bon, ce qui a rendu la vie difficile pour Trevor Jackson, c’est que ce logiciel de "caméra" ASCII vintage était bien évidement incompatible avec les équipements actuels, c’eut été trop facile. Puis les choses sont devenues encore plus complexes lorsque Trevor Jackson a commencé à mélanger et superposer les programmes pour le clip. Ce qui lui a valu de cramer un MacBook Pro 2016 avec des calculs de fichiers trop gros. Mais il a vraiment réussi à enchainer les "plans" sans points de montage visibles, une sorte de fluidité dans l’abstraction. Le résultat est là !

Trevor Jackson a lancé récemment son tout nouveau site web que nous vous conseillons vivement. Il recèle les archives numériques complètes, exhaustives et excellentes de sa production visuelle et audio de 1987 à aujourd'hui. Une visite indispensable pour tous ceux qui s'intéressent, ne serait-ce qu'un peu, au design graphique. Nous y avons passé une bonne paire d’heures.
Le site a été créé avec le studio Our Place et utilise une police de caractères conçue sur mesure, appelée Mode.

Et si parallèlement, vous voulez aussi manger du Trevor Jackson par les oreilles, vous pouvez suivre ses shows live sur NTS :