Enfant, Frida Orupabo, née en Norvège s’est rendu compte qu’elle était "marron". Seule au milieu de blancs, et aussi nigériane. Toute sa démarche d’artiste part de là. Dans ses collages numériques et analogiques, Frida Orupabo démembre puis réassemble les corps, en particulier ceux de femmes noires, dénonçant la brutalité de leurs représentations picturales, les questions liées à la race, aux relations familiales, à la sexualité, à la violence et à l'identité. Son puissant travail est une de nos expositions préférées aux Rencontres de la Photographie d’Arles (jusqu’au 25 septembre).
Frida Orupabo est née en 1986 en Norvège, elle a grandi avec sa mère et sa sœur. Sa mère est norvégienne et son père est nigérian. Quand elle avait trois ans, il est parti, retournant au Nigeria. Elle a évolué depuis toute petite dans une société où il y avait très peu de personnes qui lui ressemblaient : tous étaient blancs. Dès le jardin d’enfant, on lui demandait d'où elle – la seule norvégienne “marron”- venait vraiment. Elle a commencé à se demander si elle était à sa place. Et si ce n'est pas le cas, où était sa place ?
Pour elle, les représentations de personnes comme elle n'existaient pas, et quand elles existaient, elles étaient très racialisées et sexualisées. Elle a donc très tôt été consciente du pouvoir des images, et cela l'a accompagnée constamment depuis. En grandissant, elle a commencé à collecter des photos de personnes qui lui ressemblaient, c'était très important pour elle de trouver des figures positives,
À 18, 19 ans elle a commencé à dessiner, peindre, travailler par-dessus des images, sans pour autant définir cela comme un travail, plutôt comme quelque chose qui l'aidait. Elle s’est mise à fabriquer une imagerie qui parle de sa propre réalité. Cette constante recherche d'images dont elle était devenue coutumière était une sorte de faim, une faim de s'entourer de visages et de corps familiers. Juste parce qu’elle n'était pas habituée à cela.
Et l'accès à internet a encore démultiplié cette insatiable quête.
Le parcours personnel de Frida Orupabo, associé à sa formation de sociologue, génère depuis 2013 un travail de plasticienne assez considérable. Elle chasse toute la matière visuelle de son œuvre sur internet, en puisant dans l’imagerie artistique (peintures de la renaissance par exemple), mais surtout dans des archives de l'histoire coloniale, revisitant des images qui ont été créées à travers un prisme racialisé - dont la photographie s’est rendue complice - ainsi que sur des plateformes numériques telles qu’Instagram et YouTube. Elle crée ses collages à partir de matériel scientifique, ethnographique, médical ou fictionnel, dans lequel elle peut parfois intégrer des photographies issues de ses archives familiales.
Frida Orupabo déconstruit ainsi les stéréotypes pour aborder tout à la fois la violence coloniale, le racisme, l'identité et la sexualité.
Dans son processus, elle commence par faire un premier collage numérique à partir des images vintage qu’elle affectionne, puis elle les imprime en grand. Devenant analogique, elle redécoupe ces différents morceaux comme autant de “layers“ (calques) qu’elle réassemble différemment et manuellement, scotche provisoirement, défait, refait, jusqu’à pouvoir coller / agrafer définitivement, quelques fois au moyen d’attaches parisiennes, à la manière de pantins. Les œuvres qui en résultent prennent la forme de figures noires fragmentées, déformées, corps entiers ou atrophiés. Il s’agit le plus souvent des corps de femmes noires - ou parfois blanches auxquelles elle ajoute une tête noire - des corps d’époques mélangées offrant des lectures variées des histoires et des vies des personnes représentées, dont beaucoup sont à peine mentionnées dans les archives. En affranchissant les images de leur contexte antérieur, Frida Orupabo incite les spectateurs à les regarder à nouveau.
Frida Orupabo exprime un mode franc de résistance, qui déjoue le regard dominant et incite sans cesse le ou la spectateur·rice à réfléchir à la position qu’il ou elle occupe.
En fouinant ainsi sans relâche depuis l’enfance dans les profondeurs du web, pour assouvir sa " faim " et constituer son matériau, Frida Orupabo ramène par milliers des éléments arrachés à l’oubli, des images de mémoire, de soumission et de révolte, issus de documents ou de fiction dont elle publie régulièrement une partie sur son compte Instagram (ici). Elle alimente ainsi inlassablement son réservoir nourricier et mémorial, à partir duquel elle a aussi conçu une projection kaléidoscopique faite de films et d'images fixes- visible dans son exposition arlésienne - comme si son compte était pris de frénésie.
Les " collages " de Frida Orupabo montrent également beaucoup de frustration, de colère et même d'hostilité directe. Comme si vous entriez dans une pièce et que vous rencontriez un regard fixe.
D'une certaine manière, le message est : qu'est-ce que vous regardez ?
Car vous aussi, spectateurs, vous avez une position, vous avez une peau, vous avez une culture.
Les collages de Frida Orupabo sont pour elle un espoir d'entrer dans un dialogue intime. " Je veux que les gens plongent en eux-mêmes et reconnaissent leur propre position et je pense que c'est l'essence de mon travail. "
Frida Orupabo est exposée aux Rencontres de la Photographie d’Arles encore jusqu’au 25 septembre.
La première monographie de Frida Orupabo a été publiée à l'occasion de l'exposition d'Orupabo au Kunsthall Trondheim, elle semble devenue introuvable mais il est encore possible de la commander chez eux.