Depuis 3 ans un photographe non professionnel mais totalement impliqué, utilisant un appareil photo basique et argentique, est de tous les “ballrooms“ et vit ce mouvement de l’intérieur. Il a documenté par l’image ces évènements de performance, de célébration et de sororité. Un beau recueil de ces images, un QueerZine appelé “Familiar“ en a découlé. Comme un “hommage à tous les membres de cette scène, à leurs luttes et combats, et à toute la magie qui en ressort“ dit son auteur, Benoit Rousseau.

Ce joli "Familiar" sort le 28 mars dans les librairies, mais il est déjà dispo en ligne ainsi qu'à la boutique de La Gaîté Lyrique. Avant de laisser la parole à son auteur Benoit Rousseau, puisqu’il a eu la gentillesse de nous raconter ses photos et sa vision du mouvement, voici un petit rappel historique toujours utile. 

Ci-dessus : Vinii Revlon. (Insta)
Le mouvement des ballrooms nait discrètement dans les années 20, les communautés cachées LGBT de Harlem commencent à se rassembler dans des "balls" (ou dancings), à l’abri des regards. Puis grandissant, le mouvement évolue vers des sortes de "concours de beauté", où les candidats paradent, rivalisant de toilettes élégantes devant un public de d’invités-juges.
Dans les années 80, le terme "ballroom" s'impose pour caractériser cette scène, qui prend une dimension politique et va se charger d'un discours anti-raciste, porté par des personnalités comme Crystal Labeija. C’est l’affirmation d’une culture LGBT racisée venue des quartiers en réaction à la culture LGBT blanche et bourgeoise. Crystal Labeija va monter sa propre "maison", la House of Labeija en 77, lançant ce système de "maisons" concurrentes dans la culture du ball.

Au même moment, c’est la naissance du voguing, (dont le nom vient du magazine Vogue) une danse/marche utilisée lors des "concours". Pour détourner les codes des élites blanches, les candidats parodient de façon exagérée la gestuelle des défilés et des couverture de magazines de mode. Une déconstruction de la démarche des mannequins sur le runway.
Début 90, le courant est popularisé par le film Paris is Burning (1990) de Jennie Livingston qui documente la scène ballroom new-yorkaise et le clip de Madonna "Vogue".

Depuis 2010, la scène ballroom renait en force à Paris au point de devenir la capitale européenne du voguing. Un engouement porté par nombre de soirées et événements comme le festival "Loud and Proud". Une démarche émancipatrice qui dure et une scène dont Benoit Rousseau fait partie.

Parfois, il suffit d’être là au bon moment, de faire partie ou d’être proche d’une culture, d’être un familier. Dans ces cas-là, nul besoin d’avoir un important bagage technique pour produire des images belles et fortes. La proximité et la confiance permet les photos que personne d’autre ne pourrait faire. Vous n’êtes plus extérieur et les personnages se livrent, posent pour vous.
Ainsi la simple démarche à l'origine de Benoît Rousseau de "capter au flash ces instants magiques, le mouvement des corps, le bonheur de se retrouver en famille, la beauté de ces identités" s’est aussi transformé en une mémoire documentaire privilégiée.
Avec en plus, un choix esthétique particulier, celui de la pellicule argentique.

Ci-dessus : Nikki Gorgeous Gucci. (Insta)
Benoit Rousseau nous raconte : "C'est assez simple finalement. J'ai toujours bien aimé faire de la photo, mais sans jamais trop y penser. Et, il y a quatre ou cinq ans, en rentrant chez mes parents, j'ai récupéré le vieux "point and shoot" (appareil tout automatique) de ma mère qui traînait dans un placard depuis 20 ans. Si je mettais une pellicule dedans et j'essayais ? Et en fait, c'est ce que j'ai fait. Et je me suis rendu compte que finalement, cela faisait des photos magnifiques, sans avoir beaucoup de pratique de la photographie. Je n’ai jamais pris de cours de photo ni rien. C’est très autodidacte".

Benoit Rousseau : "C'est à dire qu’il y a une qualité dans l'argentique, un grain, un état d'esprit que je préfère. Je trouve ça plus beau. C'est la même différence qu'entre le streaming et le vinyle".

Benoit Rousseau : "Moi au début, je faisais des photos juste pour les poster sur Instagram et pour la communauté "ballroom" que j’ai beaucoup représentée. Et je suis ami avec Pedro Winter, avec qui je travaille régulièrement depuis très longtemps, qui, un jour, m'a appelé : "Non, mais, tes photos sur Insta sont super. Tu ne veux pas qu'on en fasse un petit fanzine tiré à peu d'exemplaires. Pour la mémoire de cette scène et qu'on puisse aussi en donner aux gens qui seront dans ce fanzine. Pour le plaisir aussi".
À côté de son label de musique, Pedro a aussi une petite boîte d'édition sur laquelle il sort des projets de livres d'art avec des artistes pour se faire plaisir".
"J'étais très touché, et en fait, ça m'a fait très plaisir. Même si au départ, je n’y avais jamais pensé, je n'avais pas du tout fait ça pour ça. C'est vraiment Pedro qui m'a dit : "faut le faire" !

Benoit Rousseau : "Eh bien, j’ai découvert cette scène en commençant à aller dans des balls. La première personne à m'y emmener, ça a été effectivement Kiddy Smile (chanteur, DJ, producteur, danseur et militant pour les droits LGBT) dont j'ai suivi la carrière depuis le début. En fait, j'ai monté un festival à la Gaîté Lyrique qui s'appelait Loud and Proud. Et dans ce cadre, on avait commencé à inviter la scène ballroom. C'est là que je l’ai découverte et ça a été pour moi une vraie révélation".

Benoit Rousseau : "D'abord, je fais partie de la communauté LGBT, je suis gay et, les balls c'est vraiment le moment de célébration. C'est le moment où se retrouvent entre eux les gens de cette communauté, pour célébrer leur identité, leur corps, leur couleur de peau et toute la diversité qu'il peut y avoir dans cette scène".

Les gens de cette communauté sont regroupés au sein de "Houses" ou maisons qui représentent une famille choisie. Ces maisons, dirigées par une "Mother", sont des endroits où des jeunes rejetés par leur famille peuvent trouver refuge. La "House", c'était un peu une famille de substitution et la "Mother", une mère et une protectrice.
Benoit Rousseau : " Donc dans chaque House, il y a un père, une mère, un parrain une marraine. Et c'est une vraie communauté d'entraide fondée par des communautés LGBT racisées aux Etats-Unis.

Ci-dessus : Giselle Palmer. (Insta)
Benoit Rousseau : "Aujourd'hui en France, voilà, cela concerne toutes les générations d'enfants. Deuxième, troisième génération d'immigrés qui sont pour certains, nés en France pour d'autres non, mais sont une partie de la communauté LGBT. Ils se sont sentis, pendant longtemps, eux aussi, exclus de la culture LGBT dominante, blanche et bourgeoise".

Ci-dessus : Shigo Ladurée. (Insta)
Benoit Rousseau : "Et en fait, très vite, je me suis rapproché d'une maison qui est la House of Revlon et notamment de son fondateur français, Vinii Revlon qui est la première "légende" française du voguing. (Portrait en couverture du post et du livre.) Dans la scène ballroom, il y a certains statuts, c'est à dire que quelqu'un qui, depuis plusieurs années, a gagné plusieurs compétitions, est "Mother" dans sa House et moteur pour la communauté, obtient un certain statut, celui de "Legend". Et Vinii, ça a été le premier en Europe à avoir ce statut. Alors c'est une communauté qui est toujours très sous influence américaine, c'est à dire, il y a une espèce de rendez-vous des leaders américains pour décider que telle ou telle personnalité de la scène peut accéder à un tel titre. Donc Vinii a été nommé "Legend" par les Américains, c'était une première en Europe à ce moment-là.

Ci-dessus, à gauche : House of Revlon, au centre Keiona, Mother de House of Revlon, à droite Vinii Revlon non masqué au milieu.
Benoit Rousseau : " Il y a, pour moi, des personnalités très inspirantes, comme Keiona, c'est la Mother de House of Revlon, une drag queen fabuleuse. Il y a aussi la God mother qui s'appelle Giselle, une femme vogueuse incroyable, c'est des gens que je prends plaisir à prendre en photo à chaque fois. Et donc du coup, je me suis mis à travailler plus particulièrement avec eux. Et Vinnii Revlon fondateur et Keiona m’ont proposé d'intégrer la House. Et maintenant, je fais partie de la House of Revlon".

Ci-dessus, Keiona, Mother de House of Revlon. (Insta)
Benoit Rousseau : "Par le fait de côtoyer cette scène au plus près, de travailler avec eux au quotidien, j'ai, du coup, une certaine forme d'intimité avec eux. Et ils sont beaucoup moins sauvages avec moi devant l'appareil, qu'ils peuvent sûrement l'être avec d'autres" 

Ci-dessus : The Revlon Boys. (Insta)
Benoit Rousseau : "J'utilise en ce moment un "point and shoot" Olympus Mju 3, il coute pas très cher sur Leboncoin, et il fait de très bonnes photos.
Et puis, assez banalement, comme pellicule j’utilise de la Portra à 400 ou 800 au flash. (Kodak)

Ci-dessus : Ambre Ladurée. (Insta)
Benoit Rousseau : "Je suis le codirecteur artistique de la Gaîté-Lyrique, donc je mets en place toute la programmation et la direction artistique. Et en ce moment, je travaille activement sur un gros événement, justement, pour célébrer les dix ans de la Gaîté lyrique, le week-end du 20, 21, 22 mai. C'est une grosse fête pleine de rencontres, performances, expos, concerts. Et je prépare aussi le prochain Ball Voguing à la Gaîté, qui est le "Aga ball" le 9 avril prochain".

Benoit Rousseau : "Je voudrais partager avec vous le travail de Chantal Regnault. C'est vraiment le témoignage d'une époque très précise du début des années 90. Cette explosion de la scène ballroom à New York, c'est encore très underground. C'est vrai qu'elle m'a beaucoup inspiré et finalement décomplexé.

Ci-dessus : La légendaire Modavia La Beija 1990.
Voilà, avec Benoit Rousseau comme guide, ce grand tour en images et en mots dans la scène ballroom est tout à fait lumineux et passionné
"Familiar" sort le 28 mars dans les librairies, mais est déjà dispo en ligne ainsi qu'à la boutique de La Gaîté Lyrique. 
Attention, si vous le voulez, ne trainez pas trop…