Il y a quelque chose de profondément sincère qui ressort du travail de Jezzelle. Ça passe à travers l’honnêteté de son style hyperréaliste lorsqu’elle dessine des rides, des cicatrices ou des bourrelets. Mais aussi de l’ordre de l’instinctif, qui prend sûrement racine dans son approche originelle au dessin.
Jezzelle Kellam : " Je m’inscris complètement dans le cliché de l’artiste qui dessinait avant de pouvoir parler. Alors que j’étais toute petite, je me promenais toujours avec un crayon et j’étais tout le temps en train de dessiner quelque chose. Ce n’est qu’en 2019-2020 que je me suis sérieusement intéressée au dessin et que j’ai pris conscience de ma pratique. "

Les corps de Jezzelle intriguent et fascinent… Les cicatrices, les membres manquants ou multipliés racontent une histoire troublante. L’histoire de notre rapport à notre propre corps : " Je décide consciemment de ne pas représenter la tête ou certaines parties du corps. Ainsi j’exprime une séparation littérale entre le corps et l’esprit. Cela accentue l’ambiguïté de mon travail à travers l’anonymat des modèles mais cela permet aussi certaines réflexions. Comment les gens, en général, peuvent-ils vivre si déconnectés de leurs corps alors qu’ils leurs sont vitaux ? J’essaye de représenter comment on peut habiter nos corps de manière physique, psychologique et physiologique. "

La technique réaliste de Jezzelle impressionne par la rugosité presque palpable de ses textures de peau. C’est d’ailleurs ce qui l’a conduite à choisir le corps comme sujet de travail : " Au départ, j’étais fascinée par les images macabres : la décomposition de la nature, les crânes d’animaux... Je n’aurais jamais pensé utiliser le corps comme sujet principal. En 2019, j’ai travaillé sur un projet pendant mes études, et je me suis servie de mon partenaire et moi-même comme modèles. C’est alors que j’ai découvert que les textures de peau que je pouvais créer étaient très intéressantes. J’ai donc décidé de développer cela davantage et c’est ce que je continue à faire à présent. Ma technique se développant, j’ai vraiment pu me dédier à expérimenter de nouvelles idées de compositions, de poses ou de détails. "

En utilisant une technique hyperréaliste pour représenter des corps imaginaires, Jezzelle nous invite à une réflexion sur le concept-même de réalité : " Il est très important pour moi de représenter des cicatrices, des poils, de la cellulite, etc. Ces attributs souvent considérés comme des imperfections, je tiens à souligner à quel point ils sont beaux. Il s’agit de remettre en question la façon dont la société perçoit notre corps mais aussi de questionner ma perception de la réalité et de mon propre corps. En manipulant les formes, en retirant des éléments, en utilisant des compositions, des poses et des angles particuliers, je crée de l’inconnu. Cela donne lieu à une sensation d'irréalisme. L’effet n’est ni photoréaliste ni surréaliste, mais une illustration réaliste fragmentée. C’est une invitation à réexaminer ce que nous croyons savoir. "

Difficile donc de ne pas lire, à travers ce travail, le témoignage d’une jeune femme sur son rapport à son propre corps
Jezzelle Kellam : " J’ai dû honnêtement me rendre compte que les figures représentées dans mes œuvres avaient un sens plus profond. Il y a de moi dans ces corps. C’est une représentation de mes expériences, mes pensées et mes émotions. Cette compréhension s’est déverrouillée avec la maturité. J’ai pris conscience que ma vie et mon art formaient une seule entité. Pour comprendre quel était l’objet profond de mon travail, j’ai dû comprendre que beaucoup de mes œuvres étaient des autoportraits, des confessions de mon passé. Lorsque les gens voient mon travail, j’espère qu’ils peuvent en retirer ce que j’y ai moi-même gagné : un sentiment de clarté et une appréciation plus profonde de notre moi physique. Beaucoup d’entre nous font face aux mêmes problèmes de déconnexion et aux mêmes batailles dans la vie, et pourtant nous nous sentons si seuls. "

Une technique aussi précise que celle de Jezzelle nous donne envie de savoir quels sont ses secrets de fabrication. Elle a eu la gentillesse de nous les confier. 
Jezelle Kellam : " Je travaille uniquement en graphite car j’adore le travail monochromatique. Ce médium me permet de représenter un corps ou un objet couche après couche. J’ajoute des éléments jusqu’à obtenir un rendu de texture satisfaisant. Chaque cicatrice, imperfection, tache de rousseur ou ride, superposées les unes sur les autres, créent des textures rugueuses. Ma technique crée presque un effet de translucidité. J’utilise une gamme de crayons de HB à 6B pour cartographier les zones de ton et créer les formes. Pour le mélange et le tamponnage, j’utilise des pinceaux de différentes tailles. Mon préféré est un pinceau Filbert. Le dernier outil que j’utilise est un stylo-gomme qui ajoute de la lumière aux dessins. "

Jezzelle a également eu la gentillesse de partager avec nous ses artistes préférés.
Jezzelle Kellam : "Je pourrais lister sur des pages et des pages des artistes que j’aime, mais je vais essayer d’être brève. Parmi mes artistes favoris, Jordan Younger, Jenny Saville, Darryn Sharpe et Alyssa Monks. Certains d’entre eux sont sur Instagram et je vous invite à scroller leurs profils ! "
(Liens dans les images)

Jordan Younger,
Jenny Saville
Darryn Sharpe
Alyssa Monks

Quant à nous, on vous invite à (re)découvrir les illustrations tout au crayon, hyperréalistes, drôles, et colorées d'Uli Knörzer.

Uli Knörzer