Ces images de maisons délirantes ont été capturées dans leur folle exagération par le photographe Adam Wiseman pour un projet sur les " demeures auto-construites " (donc sans architecte), financées par des transferts de fonds : ces maisons fantastiques ont été construites grâce au financement d'immigrants mexicains aux États-Unis qui envoient de l'argent chez eux. On explore ici la question hautement symbolique de la maison plutôt que sa fonctionnalité ; le signe affirmé d’une réussite.
Adam Wiseman : " Il y a des années, ma femme Annuska a commencé à remarquer ces maisons étonnantes lors de nos voyages à travers le Mexique, et elle a suggéré l'expression Arquitectura libre pour les décrire. Un nom sans prétention qui résume parfaitement une esthétique libérée des codes de construction et des idées étroites sur le goût. Ce nom célèbre la forme plutôt que la fonction, l'expression plutôt que la convention. Par-dessus tout, on célèbre ici l'unicité. "
Aborder le thème de la migration à travers son architecture ouvre une perspective assez unique sur ce sujet très médiatisé par ailleurs. Elle pose la question non seulement du déplacement mais aussi du remplacement, ces maisons " remplaçant " avantageusement et symboliquement le migrant de la manière la plus visible possible. En outre, le Mexique est connu pour les nombreuses façons dont les règles de toutes sortes peuvent être contournées ou enfreintes, d’où une grande tolérance qui offre autant d'opportunités créatives que de problèmes. Dans les zones rurales du Mexique, Adam Wiseman montre à quel point les propriétaires sont libérés de quelconques pratiques standardisées, de codes de construction uniformes ou même de toute forme de contrainte architecturale locale ou académique. Aucune commission du patrimoine architectural, tout est permis (de construire).
Adam Wiseman : " J'ai trouvé le développement d'Arquitectura libre assez stimulant ; ce fut un exercice de lutte contre mes propres préjugés. Né au Mexique, de parents britanniques et américains, je suis considéré comme un étranger, où que je sois. En conséquence. Je me retrouve à défendre mon intérêt pour l'exploration de l'environnement auto-construit comme autre chose qu'une étude extérieure du kitsch mexicain. Peut-être que ces suppositions perçues ne sont pas tout à fait incorrectes. Peut-être qu'au début (bien que cet aveu me mette mal à l'aise aujourd'hui), j'étais attiré par le caractère scandaleux de ces maisons. Je déplorais la façon dont elles interrompaient le paysage. En tant que Mexicain privilégié, j'ai aussi romancé l'humble uniformité et la simplicité des villages coloniaux : maisons en adobe et toits de tuiles rouges, murs enduits peints à la craie avec une bande rouge courant sur le tiers inférieur.
Au début, c'est vrai, j'étais à la recherche des constructions les plus grandes et les plus ostentatoires que je pouvais trouver. J'étais en compétition avec moi-même. Je voyais cela comme une sorte de Lucha Libre de l'architecture : técnicos contre rudos, à la recherche du plus rudo (outrageux) et du moins técnico (conventionnel). "
Adam Wiseman : " Au fil du temps, avec la recherche et l'interaction avec les communautés, ma perspective a changé. J'ai choisi d'approcher les maisons par l'objectif subjectif, en les photographiant depuis la rue, en gardant une certaine distance, une approche qui n'est ni strictement journalistique, ni documentaire, ni artistique. Le projet a mêlé la recherche à l'observation directe, les faits à l'interprétation subjective. "
Adam Wiseman : "Une grande partie du travail a été tournée sur le bord de la route sans le consentement des propriétaires, souvent accompagné de mon ami Luis. Je prenais des photos et je voyais ce qui se passait, le cas échéant. Ces photos n'étaient jamais prévues. "
Adam Wiseman a même étendu son "étude" en dehors du Mexique, en Inde et Transylvanie.
Adam Wiseman : " Dernièrement, certaines de mes photos ont commencé à circuler sur les médias sociaux et ont acquis une vie propre. Un mème en particulier à partir d'une photo "empruntée" a été partagé des milliers de fois, la majorité des commentaires étant ouvertement moqueurs et classistes. Arquitectura libre est devenue une partie de la conversation, une conversation qui, comme l'architecture, ne devrait pas être contrôlée. Je regarde surtout comment mes photos sont appropriées et s'éloignent du message que je voulais leur donner. Elles prennent une vie propre et deviennent un indice de la société à laquelle elles appartiennent. "
Adam Wiseman : " L'achèvement de ce travail pendant la pandémie mondiale a jeté une lumière nouvelle. Alors que les frontières sont militarisées et que les étrangers sont considérés comme des menaces, les communautés de migrants aux États-Unis sont confrontées à des niveaux croissants de racisme et de xénophobie. Il s'agit souvent de travailleurs de première ligne vulnérables, et les pertes qu'ils subissent sont importantes. Plus que jamais, l'argent est renvoyé au Mexique. Cela peut s'expliquer en partie par l'importance des Mexicains en tant que travailleurs de première ligne : ils travaillent plus dur que jamais pour nourrir, abriter et soigner les Américains. Mais, plus tragiquement, cela peut s'expliquer par le fait que la crise au Mexique devient si aiguë que les personnes restées au pays ont plus que jamais besoin d'aide. "
La médiatisation du projet est aussi originale que les maisons car outre un catalogue et des expositions, l’œuvre est également présentée sous forme de "kits itinérants”, que l'on peut emprunter. Chaque kit est construit de manière différente - tout comme les maisons - et contient un exemplaire du catalogue, un poster grand format des images disposées en grille, le tout emballé dans un sac en aluminium brillant et matelassé fabriqué localement.
Adam Wiseman : " Arquitectura libre n'est pas très orthodoxe dans son "emballage" et n'opte pas pour les boîtes de portfolio et les livres de photos magnifiquement conçus. J'ai choisi des matériaux locaux et accessibles. Un grand nombre des expositions prévues dans le cadre de ce projet ont été annulées ou reportées. La solution : envoyer l'exposition chez vous ! Il existe donc une édition de ces kits d’exposition en réserve, de sorte que toute personne qui en fait la demande peut la voir sans l'acheter ni même sortir de chez elle. Ces kits sont prêtés pour deux semaines et le public est encouragé à ajouter un dessin, un poème, un morceau de textile ou tout autre objet bidimensionnel au kit avant de le retourner. Après les deux semaines, le kit sera envoyé à la personne suivante sur la liste. "
Adam Wiseman : "Arquitectura libre est une histoire de déplacement, de remplacement, d'identité, de culture, de classisme, de racisme, d'éducation, de persévérance - et d'erreurs. Arquitectura libre est une célébration de l'architecture qui transcende les conventions et témoigne des rêves. "
Cela nous a rappelé ces deux photographes français dont nous vous avions parlé Eric Tabuchi et Nelly Monnier qui réalisent le pari fou de faire un état des lieux visuel de la France du début du XXIe siècle par ses constructions dans ce qu'ils ont appelé l'Atlas des Régions naturelles (ici). C'est une collecte d’images colossale et ambitieuse, Cet atlas photographique sera composé à terme (en 2024) de 25 000 à 30 000 images répertoriant les multiples composantes du patrimoine architectural vernaculaire de France
Outre leur présence en ligne, ils en avaient sortis deux superbes livres. Le volume trois est en pré-commande ici. Il sera aussi somptueux que les deux premiers à n'en pas douter. Chaudement recommandé.