Une allumette sur une table comme point de départ. Le tokyoïte Tomohiro Okazaki vient de publier ce petit film étonnant et exhaustif, car avec une imagination débordante, il met en scène toutes les variations animées possibles avec ce simple objet du quotidien. Cela va du déplacement basique au morphing complexe et entièrement chorégraphié. Ses courtes animations avec ses allumettes dansantes démontrent le travail précis de découpage, de déplacement, d'attachement et de glissement afin de produire des transitions fluides. Et on peut s’apercevoir qu’il n’y a pas forcément de réelles allumettes dans sa série saisissante d'astuces et de techniques. Ce qui semble avoir commencé comme un projet de passage pendant le ralentissement dû à la pandémie s'est transformé en une encyclopédie des possibilités.
Et en fouillant un peu plus et en allant voir sur le compte Youtube de Tomohiro Okazaki, on voit qu’il s’est intéressé à pas mal d’autres objets du quotidien comme sujets d’animation donnant lieu à de courtes expérimentations ludiques de flexions et de déformations sans fin. En se renseignant sur Tomohiro Okazaki lui-même, surprise, on découvre qu’il est un graphiste/designer de métier et non un animateur, c’est intrigant. On l’a donc questionné sur sa pratique experte et sur ses motivations.
Tomohiro Okazaki nous raconte : "J'ai réalisé mon premier film en stop motion en 2010. Je travaillais depuis longtemps comme graphiste pour des documents imprimés et, pour la première fois, j'ai été enthousiasmé par les possibilités de l'animation et par l'idée d'intégrer un axe temporel dans le graphisme. Voici les premières publications sur un site web que j'ai réalisé à l'époque".
"À partir de ce moment-là, j'ai commencé à travailler régulièrement avec de l'animation, non pas avec des marionnettes ou une animation de type humain, mais avec des objets, et leurs propriétés, leurs mécanismes et leurs structures.
Depuis lors, je continue à trouver très intéressant de voir les choses en mouvement".
Tomohiro Okazaki : "Toutes ces vidéos sont réalisées en pure stop motion. Je n'utilise pas de techniques 3D ou de compositing. Les photos sont prises une à une et sont des situations réelles, les images sont enchainées ensuite".
Tomohiro Okazaki : "J'appelle cette activité quotidienne de création de courtes animations "Study" (ou "étude"), c’est devenu une collection de petits films expérimentaux. Après avoir travaillé longtemps dans le domaine du design et du graphisme, j'avais l'impression de m'améliorer, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi, mais je sentais que j'avais besoin de me confronter à davantage d'événements ou problématiques que je ne comprenais ou maitrisais pas. Ainsi, cette activité appelée "Study" est comme un exercice pour me sortir du flot du travail. Je pense que c'est similaire à la gymnastique ou à une promenade".
Le projet ou la pratique quotidienne "Study" a produit, entre autres, des vidéos expérimentales comme celle-ci":
Tomohiro Okazaki : "Ce que j’avais compris en dix ans de pratique de stop motion, c’est qu’on peut devenir bon, mais je l’avais un peu laissé de côté à cause du quotidien trépidant du travail. Alors quand le monde s’est ralenti avec cette pandémie, cette activité qui semblaient triviale mais qui est en fait très importante, j’ai décidé de la reprendre et de me remettre aux petits films d’expérimentation. Ce n’est pas des idées qui me servent de façon directe dans mon travail mais qui sont là, présentes".
Tomohiro Okazaki : "J'ai un grand intérêt pour les "objets" en soi. Les objets sont constitués de propriétés et de structures. J'essaie d'ignorer la narration propre de l'objet et de concevoir quelque chose uniquement avec son ossature et ses propriétés physiques. En faisant cela, j'essaie de comprendre et faire ressentir aux gens la structure profonde des objets à travers ces expériences vidéo".
Tomohiro Okazaki : "Je fais ces "study" pour mon intérêt propre et y passant beaucoup de temps. Mais je pense que c’est exactement ce que je faisais enfant en capturant des insectes pour les étudier. Et maintenant, ces petits films sous forme digitale disponibles par différents réseaux, c’est comme si les gens pouvaient voir ma collection de scarabées. Pour moi, les idées et expressions que je découvre dans cette activité de "Study" sont comme des insectes trouvés en forêt, je n’ai aucune intention de prétendre que ces expressions m’appartiennent. Je pense que la valeur apportée ici n’est pas moi, mais l’insecte que j’ai ramassé".
Peut-être cette étude n’est pas une expérience de stop motion, mais plutôt une expérience sur les relations entre les sens des humains et les objets. Il est donc probable que cela conduira naturellement à une large variété de sujets de conception.
Tomohiro Okazaki : "S’il y a une quelconque source d’inspiration dans ces vidéos, surtout pour les jeunes, j’aimerais qu’ils s’en servent beaucoup car ces idées doivent être disponibles et ne pas être monopolisées par des individus.
Pour moi, fabriquer cela avec mes propres mains et observer cela avec mes propres yeux est un acte que je trouve purement intéressant. Et je vais continuer à faire cela pendant 10 ou 20 ans".
Pour en savoir encore plus sur sa démarche, voici un segment de 18 minutes où Tomohiro Okazaki s’expose plus en détail. En japonais avec voice over anglaise. A partir de 02:06:30.