La jeune photographe finlandaise Sari Soininen expose actuellement à Circulations, festival européen dédié à la jeune photographie, au 104 à Paris, une série d’images mentales comme autant de flashs restés imprimés dans un cortex sous emprise. La série, fascinante en soi, est une mise en image à postériori d’une réalité transcendée par une consommation un rien effrénée et assumée de LSD.
L’humain qui se plait à expérimenter des choses rigolotes mais un peu périlleuses a inventé ces filtres chimiques, optiques et sensoriels qui perturbent le signal entre ses sens et son cerveau, qu’il a appelé LSD ou autre mescaline. Lorsqu'elle avait une vingtaine d'années, Sari Soininen prenait régulièrement du LSD en grande quantité, jusqu'à connaître une crise psychotique prolongée. Cet épisode halluciné et mystique a eu d'importantes conséquences sur sa vie et a profondément transformé sa manière de voir le monde. Ce sont des choses d'une réalité assez banale que photographie Sari Soininen mais elle en montre une dimension autre à laquelle elle a pu avoir accès. Ce sont ces fragments de sa psychose et ses trips de déformation sensorielle qu’elle a voulu restituer et ces images sont les cartes postales d’une visite au "pays transcendant de l'esprit". Le titre de la série "Transcendent Country of the Mind", est extrait du livre d’Aldous Huxley, "Les Portes de la perception", dans lequel il parle de son expérience de la mescaline.
Ceux qui ont eu la chance ou la malchance d’avoir expérimenté des troubles de la perception dus à ces puissantes substances pourront se retrouver en pays connu, ou du moins auront une sensation familière devant les images de Sari Soininen. Peut-être une impression d’avoir déjà eu par leurs propres yeux des visions similaires. On peut, bien sûr, prendre grand plaisir à entrer par ces images dans une étrange dimension sans explications supplémentaires, ni même avoir expérimenté de psychotropes, car contempler une retranscription déformée du réel est tout à fait jouissif en soi. Cependant les raisons qui ont poussé Sari Soininen à le faire et le récit de cet épisode chaotique de sa vie sont bien plus intimes et touchants. Il ne s’agit pas juste d’expérimentations visuelles, mais d’un journal bien plus personnel de cette dérive sublime et effroyable auquel elle donne accès. Certaines images sont autant le reflet d'hallucinations ludiques que de sa psychose démente, car cette "péripétie" l’a définitivement changée. Pénétrer ces séduisants mondes parallèles par les drogues comporte bien entendu quelques risques importants pour la santé mentale et physique, on peut y laisser son cerveau à jamais. Il n’est pas courant ni très facile de rendre pareille expérience publique, Sari Soininen le fait sans détours, et affirme pour autant être toujours en quête d’autres dimensions de la réalité, par les drogues précédemment, et par son travail photographique maintenant.
Sari Soininen : "Quand j'avais environ 12 ans, j'ai commencé à photographier la nature qui m'entourait. Je suppose qu'au début, c'était en quelque sorte une façon de regarder le monde qui m'entourait. Plus tard, j'ai obtenu mon diplôme de photographie en 2014. C'était une période assez mauvaise dans ma vie, donc j'ai fini par abandonner la photographie pendant plusieurs années. Après avoir eu ma psychose induite par le LSD, j'ai retrouvé la photographie ; C'est devenu une forme de thérapie pour moi. J'ai commencé à faire des autoportraits pour refléter ce qui m'était arrivé et ce qui se passait dans mon esprit à ce moment-là".
Autoportrait :
Sari Soininen : "Au début de mes vingt ans, j'ai expérimenté le LSD. Au départ, c'était juste pour le plaisir, j'essayais, je voulais savoir ce que c'était. Mais assez rapidement, j'ai commencé à tomber dans une psychose où ce Dieu mystique me parlait, me disant de prendre davantage de LSD pour me connecter au "monde réel". Cette psychose a duré environ 4 mois. C'était une expérience très religieuse qui puisait dans le christianisme, le vieux paganisme finlandais et le folklore. Le monde s'est transformé en quelque chose d'autre, il est devenu comme cette nouvelle réalité - un jeu amusant où je devais accomplir différentes tâches pour que le royaume de Dieu devienne réalité".
Sari Soininen : "Je suppose que lorsque vous faites l'expérience de quelque chose d'aussi surnaturel, d'aussi différent de la réalité que nous rencontrons tous les jours, cela vous change définitivement. J'ai l'impression d'avoir acquis une nouvelle façon de voir la réalité. Cette expérience où le moindre détail avait une signification mystique m'a appris à regarder les choses banales de la vie d'une manière différente. Je crois que si nous changeons un peu notre perception ordinaire, le monde qui nous entoure peut devenir tellement plus excitant et donner plus de sens à nos vies".
Sari Soininen : "Quand j'ai commencé mon projet "Transcendant Country of the Mind", je voulais seulement partager ma façon de voir le monde. Au début, je ne me rendais même pas compte que ce projet concernait ma psychose. Et pendant longtemps, je crois que j'ai essayé de me dire qu'il s'agissait d'autre chose, car je n'étais pas encore prête à parler de ce qui m'était arrivé en public. Mais une fois que j'ai continué à faire des images pour le projet, il est devenu très clair pour moi que c'était bien de cela dont il s'agissait.
Le fait de retourner dans ce monde fou et psychotique est donc devenu pour moi un moyen de me libérer de cette expérience traumatisante mais révélatrice. De plus, lorsque j'ai commencé à parler de mon travail en public, la valeur thérapeutique s'est accrue ; j'avais l'impression de n'avoir plus rien à cacher. J'étais libre".
Sari Soininen : "Les scènes que j'ai capturées pour Transecent County of the Mind étaient toutes simplement rencontrées autour de moi. Comme ces événements très banals que j'étais capable de voir d'une manière différente. Je me souviens encore de la façon dont les petites choses ont pris un autre sens lorsque j'étais en pleine psychose. Je ne ressens plus ou ne crois plus en ces "significations", mais je peux encore regarder le monde de la même façon qu'à l'époque. Je suppose donc que ces images sont en quelque sorte construites sur cette base".
Sari Soininen : "Je ne retouche pas beaucoup mes photos. J'aime construire ces nouvelles réalités sur le moment, dans la prise de vue, plutôt que de les faire plus tard dans Photoshop. J'utilise donc des flashs manuels avec des gélatines de couleur, des vitesses d'obturation lentes, et la surexposition dans mon travail".
Sari Soininen : "Mon travail est presque toujours très thérapeutique. Il vient donc d'un point où je le fais pour moi-même. Mais je pense qu'avec Trasncendent Country of the Mind, j'essaie d'offrir au spectateur différentes manières de voir la réalité qui nous entoure, de faire en sorte que les gens voient les choses banales qui nous entourent de manière plus fascinante. Je pense aussi qu'il est très important de parler de la drogue et des problèmes de santé mentale, donc d'une certaine manière, j'espère être une sorte de modèle pour aider d'autres personnes à être plus ouvertes sur leur passé également".
Au-dessus de ses images, dans l’exposition, un petit haut-parleur diffuse une voix lisant un texte plutôt extatique et étrange. C’est un texte qu’elle a écrit en produisant ces images.
Sari Soininen : "La partie texte de Transecent County of the Mind décrit les sentiments et les choses que j'ai faites et ressenties pendant ma psychose. Le texte est un long flux de conscience, une image mentale folle de cette période de ma vie. Je publierai un livre sur ce projet au cours de l'automne prochain".
Ce sont quelques extraits de ce texte-flux de conscience que nous vous proposons de découvrir ci-dessous en regard de ses images hallucinées.
Sari Soininen : "Ils étaient allés dans mon appartement et avaient vu que toutes les surfaces brillantes étaient couvertes et qu'il n'y avait plus rien là-dedans. J'avais jeté tout ce que je possédais, je m'étais jetée moi-même et j'étais née de nouveau. Dieu m'avait dit que je n'avais pas besoin de possessions matérielles. J'ai donc passé en revue toutes mes affaires, très soigneusement, avant de les jeter dans la poubelle dehors. Les souvenirs étaient quelque chose qui vous gardait connecté à cette chose appelée réalité. Mais ce n'était pas le monde réel. Tout était faux. La seule façon de se libérer était de tout laisser partir".
Sari Soininen : "Quelques jours plus tôt, j'avais réalisé que le monde était une boîte. Vérité insensée mais rationnelle sur la vraie nature du monde. Tout, ensemble et séparément, n'était qu'une boîte. Une boîte avec huit coins dedans. Rien de plus, rien de moins. Simple. Tout était maintenant identique mais différent en même temps".
Sari Soininen : "J'avais été sauvée, le dieu que je croyais avoir pris soin de moi était le diable lui-même. J'ai arraché la croix de mon cou et l'ai écrasée sur le sol de la voiture en pleurant amèrement. La porte s'est ouverte et quatre policiers ont attrapé chacun un de mes membres et ont commencé à porter mon corps nu à l'intérieur pendant que je criais comme si j'allais être abattue. Ils m'ont jeté dans une salle blanche capitonnée. Le temps a disparu, les murs autour de moi ont fondu et je suis tombé dans un vide de lumière sans fin où je l'ai rencontré, lui et toutes les autres créatures de l'horreur".
Sari Soininen : "Hier encore, j'ai prié dieu d'arrêter ma connexion avec ces autres dimensions. Je ne voulais plus en faire partie. Je voulais être à nouveau normale. Je voulais que la vie soit à nouveau normale. Comme elle l'était avant. Et oh, il a répondu à mes prières comme il l'a toujours fait. Il m'a emmenée et m'a ramenée.
Et m'a ramenée à la réalité".