Dans Coin Cunts, chaque porte-monnaie, comme chaque vulve et chaque corps, est différent, unique, beau. Il y a en a de toutes les couleurs et de toutes les formes. C’est une célébration quasi surréaliste de la diversité féminine. Un objet du quotidien, qu’on ne prend même plus la peine de regarder, devient par l’imagination de Suzanna Scott un outil fort pour prendre le pouvoir, interpeller sur le genre, l’égalité des sexes. Tout ça simplement en le retournant et avec un peu de coutures. Ça nous rappelle le slogan lancé par Aimee, l’un de nos personnages préférés dans l’indispensable série Sex Education, All vulvas are beautiful. Si vous ne l’avez pas encore vue, foncez ! C’est un petit bonbon sur le sujet de l’acceptation de soi et de la différence. Les vulves de Suzanna Scott, c’est l’empowerment féminin par l’art, essentiel dans ces temps troublés pour les droits des femmes et des minorités raciales.

Ce choix des sacs et des porte-monnaies est plein de symboles, c’est l’indépendance et la liberté financière des femmes, durement acquises. Mais aussi ce corps des femmes et des personnes à vulves aujourd’hui encore enjeu de pouvoir et de conflit, soumis à des injonctions toujours plus nombreuses. C’est notre corps de femmes et les représentations faussées qu’on s’en fait, nos regards, sur nous-mêmes et sur l’autre, déformés par un idéal toujours plus lisse exposé dans les magazines. L'influenceuse Maéva Ghennam qui promouvait sur ces réseaux il y a quelques mois le rajeunissement vaginal pour retrouver, et on la cite, « un vagin comme si j’avais 12 ans », ferait bien de regarder d’un peu plus près les vulves de Suzanna. Coin Cunts, c’est aussi, mettre enfin le sexe féminin au premier plan, lui dont on a si peu parlé, dont on nous a appris à avoir honte, et qui n’a été représenté dans sa globalité, clitoris inclus, qu’en 2017 dans les manuels de SVT ! 
On a échangé avec Suzanna Scott sur ce projet, loufoque en apparence, engagé en profondeur.

Suzanna Scott : " Lorsque j'ai commencé mon projet Coin Cunts, au début de l’année 2015, il y avait des rumeurs selon lesquelles une femme aller se présenter à la Présidentielle, ici, aux États-Unis. Je cherchais un objet qui serait alors à l'intersection des thématiques des femmes, de l'argent et du pouvoir. Il y avait de vieux sacs à main à fermeture à baiser qui traînaient dans le studio. Un jour, je m’amusais avec, et le tour était joué !… Une vulve ! Aujourd’hui, nous avons la première femme vice-présidente en fonction de notre Histoire. "

Suzanna Scott : " Pour réaliser cette série, j’ai cherché des petits sacs à main partout, dans les friperies, sur Etsy … Il y a quelques mois, je suis tombée sur un tas d’une douzaine d’un seul coup, dans un magasin local d’antiquités. Bien sûr, je les ai tous achetés ! Je deviens aujourd’hui un peu plus pointilleuse quant aux sacs à main que j’ajoute à la collection. Ils doivent tous avoir ce cadre de verrouillage à charnières qui me permet de les ouvrir à l’envers. La première chose que je recherche dans ces sacs, c’est une couleur de doublure intéressante. Certaines couleurs comme le violet sont difficiles à trouver, alors si j’en croise, je les prends tout de suite ! La doublure en tissu doit aussi être suffisamment malléable pour être cousue en place. Je rejette de nombreux sacs à main qui sont faits dans des cuirs trop rigides. "

Suzanna Scott : " Ce projet est toujours en cours. En fait, depuis 2015, la collection ne fait que s’agrandir. J’ai des ensembles plus petits qui peuvent voyager, pour une exposition par exemple. Et je vends certains exemplaires des sacs, ainsi que des tirages de la série, pour permettre à la collection de continuer à se développer. "

Suzanna Scott : " Je n’avais pas vraiment imaginé la manière dont ce projet allait être reçu. Cette idée de petits sacs-vulves, je la prenais un peu comme une blague au départ. Mais grâce à l'accessibilité des réseaux sociaux, ça a pris de l’ampleur et les sacs vivent maintenant leur vie propre. J'ai reçu en grande majorité des commentaires positifs sur la série, des femmes comme des hommes. J’avais imaginé différents titres pour ce projet. Je voulais d’abord l’appeler "Pursies", mais j’aimais beaucoup l’allitération et le côté choc du titre "Coin Cunts" ("Chattes à monnaie"). C’est intéressant de noter combien de langues ont le même mot pour dire sac à main et vagin. L’objet de la série, comme le titre, font jouer le spectateur autour d’un double sens, d’un jeu de mots visuel. "

Suzanna Scott : " Depuis leur création, les Coin Cunts ont permis de donner une voix et de sensibiliser à de nombreuses causes cruciales dans le monde telles que la justice reproductive, l'exploitation sexuelle, les mutilations génitales féminines, les disparités raciales en matière de santé maternelle, les idéaux d'image corporelle complètement irréalistes et contre-nature, l’augmentation des labiaplasties (opération qui consiste à réduire les petites lèvres), et la liste ne cesse de s’allonger ! "

Suzanna Scott : " En exposant l'intérieur mystérieux d'un objet omniprésent dans notre quotidien, j'ai finalement découvert que chaque Coin Cunt est distinct, tout comme chaque humain est unique. Ces porte-monnaies transposés, renversés, taquinent notre imagination et défient nos associations visuelles, politiques, culturelles, autour des femmes, de l’argent et du pouvoir. J’aime aussi l’idée de m’intéresser au corps et ses représentations, à cet objet visible que nous projetons sur le monde et qui nous définit par le sexe, la race, l’âge. "

Suzanna Scott : " L’éducation et la communication sont essentielles dans la lutte pour l’égalité des droits pour tous les humains, et je crois que l’art joue aussi un rôle crucial. L’art peut réaliser l'imaginaire, il élargit les possibles et permet une fenêtre de discussion sur certains problèmes de société. L’art peut être aussi être un moyen plus accessible pour sensibiliser à une cause, et peut également aider à financer ceux qui luttent pour plus de justice. "
Comme pour ses " Trumped Nuts" ! (ici). Les Trumped Nuts sont des objets à porter qui dénoncent la bouffonnerie exhaustive de la politique américaine actuelle et l'influence négative qu'elle engendre dans le monde entier.

Suzanna Scott : " La situation des femmes est très compliquée en ce moment dans mon pays. Pendant la pandémie, ce sont les femmes et les personnes BIPOC (Noirs, autochtones, personnes de couleur) qui ont perdu le plus en termes économiques aux États-Unis. Les possibilités d’emploi pour ces minorités ne sont toujours pas revenues à la normale. Ce qui est le plus frappant en ce moment, ce sont les droits à la santé sexuelle et à la reproduction qui sont littéralement en train d’être massacrés dans bon nombre des nos États. Sans parler des dégâts infligés par le fléau religieux sur la réussite économique des femmes, encore aujourd'hui. Dans ce monde qui sonne comme une réalité parallèle, où l’on fait face à une résurgence des mouvements racistes et misogynes, mes Coin Cunts sont un symbole visuel d'autonomisation et d'égalité pour toutes les personnes ayant une vulve. Ils donnent une voix aux marginalisés. "

Suzanna Scott : " Il y a plusieurs artistes féminines qui m'ont définitivement inspirée par leur utilisation de "l'imagerie vulvique". Notamment Hannah Wilke (ici) qui a créé des formes répétitives de vulves à partir d'argile, de chewing-gum, de latex et même de peluches récupérées dans les sèche-linges. Il y a aussi Judy Chicago, avec le projet "The Dinner Party" (ici) et l’imagerie qu’elle appelle du "noyau central", présente sur chaque assiette. Elle voulait célébrer l’expérience féminine à travers l’Histoire, la revendiquer en créant un nouveau langage visuel. En ce qui concerne l'utilisation d'objets trouvés et la création de jeux de mots visuels, j'adore le travail casse-tête, mais pourtant étonnamment simple, de Meret Oppenheim, connue pour sa "Fur Teacup"(ici).

Meret Oppenheim - Object Paris, 1936.