Hiérophante ne craint pas les tâches titanesques, c’est même une de ses signatures. Ainsi la dernière vidéo en date "Timeline" est une courte animation fabriquée à partir à partir de 6 800 tweets et plus de 900 000 émojis. Rien que ça.
"Timeline" est une critique visuelle sur la façon dont les politiques mettent la main sur les réseaux sociaux pour diffuser une “information“ orientée fortement. Et le grand maitre de cette discipline est Trump, incontestablement. "Timeline" ("chronologie")  est donc la mise en image chronologique des moments forts de l’ère Trump visualisée dans Twitter. Chaque séquence-clé des agissements ou mèmes de Donald étant traduite sous forme d’images entièrement composées en trame d’émojis. 
Quand on va sur le compte Twitter d'Hiérophante, on peut parcourir les milliers de tweets composés d’émojis formant des images qui ont servi de matière première au clip.
On a toujours gardé un œil en alerte sur le travail d’Hiérophante parce qu’il est d’un genre particulier, toujours intéressant dans les questions qu’il soulève. Pour commencer, c’est une œuvre numérique en développement dont toute la mise en forme visuelle et musicale est assurée par son auteur. Il s’agit donc de sortes de "clips" au prime abord, dont on aime le son électro, mais qui, en valeur ajoutée ont des concepts affirmés et provocants en critique sociétale et politique
Aussi on a préféré qu’Hiérophante nous explique lui-même.

Hiérophante : "J'ai commencé à avoir cette idée il y a un an et demi environ je dirais, en me disant qu'il serait possible de faire une animation en faisant juste défiler des messages comme un flipbook numérique, et Twitter était la meilleure interface pour ça, car très normé et chronologique. J'ai demandé à un ami programmeur de m'aider à faire une app qui associe à chaque couleur l'émoji correspondant en couleur moyenne. J'ai mis du temps à me décider sur le sujet car je voulais quelque chose qui soit vraiment en relation avec le medium utilisé. Et je pense que la relation de Trump aux réseaux sociaux, la façon dont il créait des micro-scandales journaliers qui masquaient un peu son action politique, faisait sens pour cette vidéo qui, non seulement utilise twitter, mais qui n'offre pas le même résultat selon l'échelle à laquelle on la regarde : en plein écran on ne voit qu'une masse d'emoji à l'animation un peu abstraite, il faut s'éloigner un peu pour que l'image soit compréhensible.

Hiérophante : "Dans la pratique, pour cette vidéo, j'ai d'abord préparé des fichiers vidéo, avec le bon nombre de pixels correspondant aux émojis, que j'ai mis dans cette petite app frame par frame. Je copiais ensuite les frames en emojis manuellement dans Twitter". 
Pour vous donner l’ampleur de la tâche, sur huit mois, Hiérophante a posté les 6 800 tweets tout à la main, soit 26 tweets quotidiens
Hiérophante : "Ensuite je faisais des screenshots du résultat sur téléphone, que je remontais dans After Effect. J'ai bien sur travaillé un peu irrégulièrement (j'ai un vrai travail à côté… haha…) j'imagine que j'y ai passé environ 500h, sans compter les travaux préparatoires, juste l'exécution, en faisant des sessions de travail de 5 ou 6 h. Bien sûr j'ai également composé la musique en parallèle, au fur et à mesure de la vidéo".

En plus, Hiérophante n’a pas cherché à automatiser le processus, car pour lui, cela fait partie de la beauté du geste.
Hiérophante : "Toutes mes vidéos sont en général exécutées selon des processus un peu fastidieux et répétitif, je trouve que le fait qu'on imagine le processus laborieux en voyant le résultat est ce qui rend ces vidéos intéressantes".

Hiérophante : "Je fais de la musique depuis longtemps, et je suis également graphiste, plutôt axé motion design, donc l'idée d'allier les deux est venue rapidement. En revanche au début je ne faisais que des vidéos pour illustrer et vendre ma musique (ma première vidéo qui a eu un peu d'attention est "Marketing", où j'avais juste suivi le fameux principe du "sex sells", en essayant de poster une vidéo à la fois très sexualisée mais assez censurée pour pouvoir être acceptée dans les espaces numériques non-pornographiques), alors qu'aujourd'hui je conçois les deux à la fois, comme un objet complet".

Nous avions fait un post sur sa vidéo "Reproduction" avec laquelle il a eu quelques petits soucis de bannissement.Hiérophante : "J'ai effectivement eu des problèmes de censure pour ma vidéo Reproduction, ce qui m'a un peu déçu car même si elle s'était faite censurée directement sur Youtube (de façon assez logique), Vimeo avait décidé après vérification que cette vidéo avait sa place sur la plateforme car leur règle concernant les contenus adulte était qu'une vidéo ne devait pas être créée dans le but de stimuler sexuellement le spectateur, donc cette vidéo, même si elle utilise du porno, n'enfreignait pas les règles. Malheureusement leurs règles ont évolué et après avoir eu un regain d'attention il y a quelque semaines, Vimeo a revérifié la vidéo et a cette fois décidé de la bannir, ainsi que "Marketing". Dans le même temps, Pornhub a aussi supprimé mes vidéos (où elles étaient en version non-censurée et cumulaient un nombre de vues assez conséquent) mais ici pour un problème de copyright. A vouloir jouer avec la limite entre les espaces non-pornographique et pornographique du web, je me suis retrouvé exclu des deux !

Hiérophante : "Je pense qu'une vidéo qui m'a beaucoup marqué à l'époque et qui se retrouve dans ce que je fais est Fell In Love With A Girl des Whites Stripes, réalisée par Michel Gondry. Réalisée avec très peu de moyens techniques, c'est juste une idée futée, beaucoup de temps et de patience. Je ne l'avais pas choisie comme référence en faisant ce projet mais en la revoyant récemment je pense qu'elle m'était resté dans un coin de la tête, notamment en ce qui concerne le tout début qui montre en quelques secondes le processus au spectateur pour qu'il puisse se rendre compte tout au long de la vidéo du travail qu'elle représente.