Quand on rencontre "Endymion" au détour d’une promenade tranquille sur la toile, on se retrouve tout déstabilisé. Et c’est ce qui en fait l’intérêt. On est en face d’un objet visuel drôle et hors normes, une (science)fiction/documentaire surréaliste aux personnages très exagérés, à la 3D plutôt basique volontairement et à l’esthétique grandement affirmée.
Les films expérimentaux de Bertrand Dezoteux se situent en effet à la frontière du documentaire (utilisant en son des personnages réels comme sa grand-mère), de la fantaisie héroïque, et du surréalisme avec des références assumées comme un "personnage" de Dali appelé "Salvadam Dalire". Ils s'attachent à représenter le monde comme un système, inspiré des logiciels de modélisation 3D, ce sont des entités visuelles hybrides, qui échappent à toute classification.
En parcourant l’"œuvre" protéiforme de Bertrand Dezoteux, on s’aperçoit que son surréalisme se situe dans un mélange iconoclaste des genres/époques mais aussi dans des références au surréalisme "historique" complètement revisité. Ainsi, il a su donner naissance à un film de surf anti-héroïque, un opéra cosmique inspiré de Parade, le ballet composé par Erik Satie, Jean Cocteau et Pablo Picasso, un space opéra mettant en scène la mission d’évangélisation d’un certain Jésus Perez, qui a son compte instagram, ou d’une fable burlesque dans laquelle un livreur Deliveroo croise la route des créatures composites du sculpteur Bruno Gironcoli.
Bertrand Dezoteux : "J’observe, en anthropologue amateur, la vie dans les mondes virtuels". Et il a déjà une belle filmographie allant du "documentaire animalier en 3D" (Le Corso, 2008) au "film d’animation de marionnettes non réalistes" (En Attendant Mars, 2015) en passant par un "essai sur les mythologies de la modernité à la française" (L’Histoire de France en 3D, 2012). Il est devenu un maître du mélange numérique et de la fiction de synthèse, l’artiste crée des objets visuels complexes en mobilisant des formes et des savoirs techniques très variés.
C’est la démonstration que la 3D permet à un pugnace Bertrand Dezoteux d’être un véritable réalisateur indépendant à la démarche ultra-personnelle et autonome. Il est en capacité de réaliser des films singuliers par lui-même, pour peu d’avoir des (certaines) capacités d’imagination, d’énergie et de temps.
Ce qui n’est pas à la portée de tout le monde.
Du coup, on a demandé à Bertrand Dezoteux comment il s’y prend.
Bertrand Dezoteux : "Comme souvent mes films se situent au croisement de plusieurs questions, certaines ayant trait à mon histoire, d'autres à la technologie et ce qu'elle fait au récit, à l'archive, ou la mémoire. "Endymion" désigne au départ une saga de science-fiction de Dan Simmons, adulée par mon père. Elle décrit le long voyage à travers différentes planètes par une petite équipée en radeau. J'ai voulu donner mon interprétation de cette histoire (Endymion est également le dieu des rêves) en explorant l'inconscient familial. J'ai réalisé des interviews auprès de membres de ma famille, en premier lieu mon père, qui prête sa voix au personnage de "Salvadam Dalire", avatar de Dali dans mon film. La figure de Dali est réapparue au moment de la réalisation du film, c'était en réalité le personnage que j'avais convoqué pour exprimer mon désir de devenir artiste auprès de la conseillère d'orientation au collège. Endymion explore les modèles adolescents comme les ferments d'une vocation artistique. Au même titre, Mamie Lou est un personnage créé à cette époque, une sorte "d'anti Tintin" inspiré de ma grand-mère maternelle, qui prête sa voix au personnage. C'est à partir de ces éléments que j'agence pour former un récit que s'élabore cet univers, les questions strictement visuelles interviennent plus tard".
Bertrand Dezoteux : "Difficile de raconter ce film, vu que le dialogue relève plus du collage que de l'écriture. C'est un voyage, qui conjugue des choses très banales et des vertiges existentiels. C'est comme le fan-art d'un film de Pixar, mais tramé par l'archive et le réel. Ce qui est peut-être ma définition du délire. Et d'ailleurs dans ce film je prête ma voix à un petit cochon qui se pose ce genre de questions.
Le film dure 14 minutes, et il s'agit du premier épisode, il a été montré dans une expo, et je rêverais d'une projection en salle dans un festival" !
Bertrand Dezoteux : "J'ai démarré comme beaucoup de gamins, en dessinant énormément dans ma chambre, en chroniquant le quotidien, en caricaturant les un·e·s et les autres. Et en passant au peigne fin les œuvres auxquelles j'avais accès, principalement des films, disques, BD et des jeux vidéos, avec mon petit frère Arnaud. Puis j'ai eu la chance de découvrir des expositions et plus généralement le monde artistique grâce à l'ancien directeur des Beaux-arts de Bayonne, Dominique Berthommé.
Mon parcours a été ensuite assez classique, j'ai été dans des écoles d'art, à Angoulême et Strasbourg, puis au Fresnoy à Tourcoing où j'ai appris la 3D. J'ai trouvé dans ce média le terrain idéal de création pour moi : une certaine autonomie, la possibilité de raconter des histoires, de faire des trucs spectaculaires avec trois fois rien, et aussi il faut l'avouer, de désacraliser la technique. Cette démarche s'inscrit probablement dans une histoire du surréalisme en effet, comme le prolongement de ce qu'avait entrepris Jean-Christophe Averty à la télé."
Bertrand Dezoteux : "En ce moment, je réalise le deuxième épisode de "Harmonie", une série de science-fiction entamée en 2018. C'est un boulot épuisant, mais réjouissant. Je suis dessus depuis deux ans, et là j'en viens à bout, ça sera visible en 2022. Je prépare également une expo à Nantes à la HAB Galerie, je suis dans les maquettes".
On lui a demandé de partager avec nous le travail d'un artiste qu'il aime. Bertrand Dezoteux : "J'admire le travail de Bruce Nauman, j'y reviens souvent, il résiste (j'ai une tendance à aimer les choses pénibles).
Je vous mets au défi de voir cette vidéo en entier !