Sophie Kietzmann est née à Berlin, elle a grandi à Bruxelles et elle est installée aujourd'hui à New York, une ville qui a joué un rôle important dans sa quête d’identité. Sur son site, les portraits défilent, illustrant une diversité folle et semblant représenter enfin l’humanité dans son intégralité. Chacun.e peut s’y retrouver. Il faut le dire, on a rarement vu autant de corps variés, célébrés et sublimés par le regard de la photographe. Une hétérogénéité encore trop rare dans le milieu de la photographie de mode où Sophie évolue, un milieu qui peine à se mettre à la page, hanté par des années d’injonctions et de beautés stéréotypées. Sophie Kietzmann fait la différence et c’est pour cette raison que nous avions à cœur d’échanger avec elle. Celles et ceux qu’elle photographie sont au centre de sa pratique. Ce qui l’intéresse c’est de construire les images avec elleux, à travers des échanges, des discussions et un respect profond pour leurs multiples facettes. 

Maya

Sophie Kietzmann : " La photographie a toujours été présente dans ma vie, notamment parce que mon père en a toujours fait beaucoup. Comme j’étais enfant unique, l'appareil photo est vite devenu pour moi un jouet que nous avions toujours avec nous. J’utilisais la photo pour me divertir, m’amuser. Cela m'a donné un but dès mon plus jeune âge. "

Sophie Kietzmann : " Tout a véritablement commencé lorsque je me suis installée à New York. J’ai fait mon coming out gay après avoir déménagé aux États-Unis, c’était la première fois que j’étais entourée d’une communauté qui me ressemblait. New York a été en quelque sorte le lieu de mon salut et la ville où j’ai vraiment pu revendiquer ma liberté. Vivre à New York m’a en quelque sorte donné cet espace complètement nouveau et neutre où découvrir une grande partie de qui je suis et trouver des personnes avec lesquelles m’identifier et ressentir enfin ce sentiment d'appartenance. Tout cela m'a donné une énergie créative nouvelle. "

Sophie Kietzmann 

Sophie Kietzmann : " C’est aussi à ce moment-là que j’ai réalisé qu’une grande partie des photographies que j’avais admirées jusque-là n’était pas représentative de cette grande diversité de personnes que je découvrais alors, et surtout que ce manque de diversité m'avait empêché de vivre et d’assumer une grande partie de ma propre identité pendant 22 ans. Maintenant que j’avais ces outils, ce langage artistique et ces compétences en photographie, j’ai compris que je pouvais m’en servir pour créer ma propre représentation de la diversité avec mes propres sensations et dans mon domaine pour que des gens comme moi, qui grandissent aujourd'hui, possèdent plus de ressources et puissent se reconnaître dans les représentations visuelles d’autres individus. "

Constance

Sophie Kietzmann : " Je me suis toujours sentie plus attirée par les gens. Je pense que c’est d’abord parce qu'ils apportent tellement de choses par eux-mêmes aux images, cela n’est pas juste documentaire. J’aime plonger dans cet aperçu de leur être auquel ils me donnent accès. " 

Sophie Kietzmann : " J’essaie au maximum de photographier des personnes qui ne sont pas assez représentées visuellement ou qui sont marginalisées d’une manière ou d’une autre par notre société. Cela peut être des gens avec des handicaps, des gens d'origines ethniques variées, d’âges ou de corps différents, des personnes avec des orientations sexuelles plurielles ou un rapport au genre qui sort des normes imposées. Je trouve qu'avec ce type de personnes, il y a une vraie connexion avec ma propre histoire personnelle et il y a une sorte de solidarité qui se crée, pour avoir fait moi-même l'expérience de ce que c'est que d'être sous-représenté.e, d'être marginalisé.e ou de grandir dans une société qui n'a pas encore fait assez d'espace pour nous. Pour les trouver, j'aime travailler avec certaines agences de mannequins vraiment pointilleuses sur la question de la diversité et aussi dans la protection de l'intégrité de leurs talents. Mais je trouve aussi mes modèles sur les réseaux sociaux, Instagram, dans la rue, au sein de ma propre communauté. Je veux montrer la beauté de ces personnes lorsqu'on leur fournit un espace où elles savent qu'être qui elles sont est suffisant, et je pense que cela se traduit dans les images. " 

Sophie Kietzmann : " Dans mes portraits je veux mettre les gens sur un pied d’égalité, montrer que chaque individu est unique, que chaque personne est différente de celle assise à côté d’elle, et surtout qu’en fin de compte nous sommes vraiment tous.tes humain.es, et que le reste ça n’est que des détails de notre identité. Et pour certains, ces détails leur sont étrangers, c’est ce qui va créer une division. Et c'est là que la représentation visuelle peut avoir un impact important. "

Kiara

Sophie Kietzmann : " Pour moi, le shooting commence toujours par apprendre à connaître la personne que je vais photographier. J'aime aussi jeter un œil aux photos qui existent déjà de la personne que je photographie pour voir si j’ai l’impression que quelque chose manque dans la représentation de ses différentes facettes. Si je photographie une personne handicapée, par exemple, et que je vois qu'elle est toujours photographiée de la même manière, alors j'aime communiquer avec mon modèle pour réfléchir ensemble à une approche différente. Je pense qu'il est important que nous n'analysions pas les modèles en nous basant uniquement sur les suppositions que nous pouvons faire à leur sujet. Je construis ensuite la séance photo à partir de ça. Tous les autres éléments, comme la scénographie, le stylisme, la coiffure, le maquillage, le lieu, sont là pour servir cette vision plus large du shooting. Ce sont des outils incroyables pour amplifier un message que nous essayons de faire passer. "

Sophie Kietzmann : " J’apporte beaucoup de ma propre vulnérabilité pendant un shooting, en essayant de faire en sorte que les personnes que je photographie puissent s’ouvrir à moi, me faire confiance et se détendre pendant le processus. Surtout, j’essaie qu’ils ne soient pas confrontés à leurs propres attentes envers ce qu’ils pensent devoir faire pour être photographiés et regardés. "

Chelsea Werner

Sophie Kietzmann : " J'ai récemment eu l'occasion de photographier Chelsea Werner, qui est une gymnaste olympique et médaille d'or nationale avec le syndrome de Downs. Son histoire est tellement incroyable. Quand elle était plus jeune, les médecins ont dit à ses parents qu'elle ne se développerait jamais correctement et qu'elle n'aurait jamais la force musculaire normale pour faire ce que font les gens ordinaires. Aujourd’hui elle fait mentir tout ce que l’on a pu dire autrefois à son sujet. Sur une note plus personnelle, quand j’ai rencontré Chelsea, il y avait vraiment quelque chose de pur dans sa manière d’être, de se présenter, elle a été tellement investie que cela m’a rendue également extrêmement investie à mon tour dans mon travail. Et pendant tout le shooting, je me suis sentie très humble. C'est l'une des séances photo que je suis incroyablement reconnaissante d'avoir pu mener. "

Sophie Kietzmann : " La représentation est liée à l’existence dans l'esprit des gens, et cela peut tout changer. Je pense que la représentation est un élément clef pour la reconnaissance de soi, et que si nous avons des espaces de plus en plus nombreux où nous pouvons nous reconnaître, cela constitue un grand pas vers l'acceptation de soi. Je pense que cela change aussi la façon dont nous nous montrons, la façon dont nous prenons l'espace et finalement cela change la façon dont les autres nous perçoivent. Cela leur donne un contexte pour développer leur curiosité sur qui sont ces individus, ce qu'ils vivent, quelles sont leurs histoires, tout en leur fournissant un espace. "

Notre échange avec Sophie Kietzmann se termine sur sa recommandation artistique, bien sûr. Elle nous parle du travail de l’artiste Camila Falquez, qui a des origines colombiennes, mexicaines et espagnoles, elle aussi installée à New York. Pour Sophie, c’est tout simplement l’une des plus douées des jeunes artistes qu’elle suit, attachée elle aussi à la question de la représentation, avec des images pop et texturées qui rappellent l’art pictural. Et sinon sur Brainto, vous pouvez jeter un œil à nos précédents portraits de Bérangère Fromont, Zanele Muholi, Romy Alizée ou encore Francesca Menghini qui œuvrent toutes pour plus d’inclusivité artistique.

Camila Falquez