A la première vision des images produites par Ángela Burón, on y voit des beaux nus traités avec espièglerie ou cruauté par une virtuose de Photoshop. Une session de poses lascives qui aurait mal tourné. Ou une photographe de nu qui descendrait en ligne droite des photographes issus du surréalisme comme Hans Bellmer avec ses poupées ou les photos montages de Pierre Molinier. Si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que ses motivations sont plutôt de l’ordre de la démarche très personnelle. En effet, Ángela Burón s’implique en personne, puisque ce sont uniquement des autoportraits, qui semblent faits pour elle-même dans un but d’apaisement thérapeutique. "J’ai beaucoup de douleurs en moi. Casser puis recomposer mon corps est une sorte de violence sécurisante qui gomme en partie mes souffrances".

Parallèlement à ce travail photographique, elle écrit des textes intimes qui semblent procéder de la même nécessité absolue. Un exutoire qu’elle publie sur son blog. Avec ses photos en regard, elle y raconte des fragments de sa vie, c’est parfois drôle, mais triste aussi, souvent cru et touchant, et cela semble toujours dans le but de se débarrasser de fardeaux. Comme un flot de pensées à évacuer pendant une séance de thérapie. On la sent engluée dans un profond malaise, avec une difficulté à vivre évidente, et ces deux modes d’expression qu’elle exerce avec talent sont une manière de tout supporter et d’en sortir. Ses photos et ses textes se transforment mutuellement, regarder et lire en même temps sont une façon bien plus troublante de pénétrer chez Ángela Burón. 
Nous vous proposons quelques extraits de son blog ci-dessous.

Ángela Burón : " Depuis que je suis petite, je voulais être inventeur. Avoir un atelier plein de ferraille dans lequel construire des machines étranges qui servaient principalement à me faire prendre mon petit-déjeuner. Avec ce genre d'oiseaux dans la tête, j'ai grandi (pas trop), en dessinant des images dans Paint et en jouant à Indiana Jones.
C'était dans une petite ville, où j'ai appris presque tout ce que je sais. J'ai toujours été bonne en maths, alors en grandissant, j'ai choisi d'être ingénieure comme mon père, pour pouvoir finir par enseigner comme ma mère. J'ai vite changé mes plans.
À 23 ans, j'ai abandonné Paint et installé Photoshop.
À 24 ans, j'ai acheté un appareil photo reflex.
J'ai commencé ce blog à 25 ans.
À 28 ans, j'ai commencé à suivre une thérapie.
À 35 ans, j'ai commencé à concevoir des logiciels et, pendant mon temps libre, je prends des photos, j'écris, je fume des cigarettes et je bois de la bière avec Casera ".

Ángela Burón : " il y a 7 ans, j'ai commencé à suivre une thérapie. Ceux qui me connaissaient avant se rappellent probablement comment j'étais, et combien j'ai changé. 
Ceux qui m'aiment diront que j'ai changé pour le mieux.
Ceux qui veulent profiter de mes vulnérabilités diront pour le pire.
Au cours de ces années, il y a eu de nombreux moments où j'ai douté de mes progrès. Je faisais face à un mur très haut qui semblait impossible à escalader, et j'ai souvent envisagé la possibilité de rester et de vivre dans cette cour ".

Ángela Burón : " Ma psy m'a toujours rappelé mes progrès, aussi minimes soient-ils, et m'a dit que la thérapie était comme l'écaillage de la pierre : si vous êtes persévérant, tôt ou tard, le mur perd de son intégrité et finit par tomber, quelle que soit sa hauteur.
Et c'est ce qui s'est passé. Je suis capable de faire des choses que je croyais impossibles ".

Ángela Burón : " Le fait d'écrire ceci ici aidera mon malaise à s'apaiser un peu, à me calmer et à ne pas avoir envie de me mettre en colère aussi, de croire que j'ai le droit de décider qui vit et qui meurt. Pour que je puisse sortir dans la rue et sourire aux gens qui passent. Et aussi, écrire ceci ici pourrait aider quelqu'un d'autre à le lire et à arrêter d'être en colère. C'est très important, car les guerres ne naissent pas d'un coup, elles commencent petit à petit et nous en créons tous chaque jour, en nourrissant notre malaise ".

Ángela Burón : " Je mets les pensées de côté, je dois travailler. Je somatise, j'ai mal au ventre et aux hanches. Je connais ce sentiment : l'anxiété. Quelque chose en moi ne va pas et mon esprit et mon corps demandent de l'aide de la seule façon qu'ils connaissent. Merci, j'arrive. Je comprends que ce n'est pas la faute de mon corps. Mon corps surmonte mes crises, m'emmène sur mon vélo, me montre des paysages, des odeurs et de la nourriture. Le plaisir du sommeil, les câlins. Ugh, des câlins... Penser à ça me rend aussi malade et me donne envie de vomir ". 

Ángela Burón : " J'en parle à ma thérapeute et elle me demande comment je me sens. Je lui dis que j'ai l'impression d'être un jambon et que tout le monde veut une part. Nous rions. Je lui demande si ce dégoût va disparaître. Elle me dit que oui, petit à petit, et avec du travail, oui. Elle me dit que nous allons le traiter comme tant d'autres choses auparavant. Je le crois.
Je réalise que je ne laisserai plus jamais personne me toucher si je ne le veux pas. Je réalise que je ne pourrai plus jamais ignorer ce dégoût. Je le ressens si clairement que je sais que je ne pourrai plus jamais l'ignorer. Je pense que si je n'étais pas arrivé à cette souffrance physique et émotionnelle, ce ne serait pas une expérience aussi choquante. Je sais que je peux ressentir la douleur et devenir plus fort. Je décide de m'en servir pour guérir mes vieilles blessures dans le processus. Ma spécialité ". 

Ángela Burón : " Je ressens encore plus d'amour qu'auparavant pour les quelques personnes qui s'intéressent sincèrement à moi, au-delà de mon attrait présumé. Comme toujours, je me promets d'en parler ouvertement à partir de maintenant, au cas où quelqu'un d'autre éviterait d'en souffrir. Je vais faire une promenade. Je vais dans mon bar préféré, je commande un Bordeaux, je m'assois à une table, je sors mon téléphone, je récupère une vieille photo et je commence à écrire ". 

Bien sûr, on aime bien lire ses textes et voir ses images, mais on se dit que ce qu'on lui souhaite de mieux, c'est d'avoir plus besoin d'en produire, cela voudrait dire qu'elle a abattu tous ses murs, et qu'elle est complètement guérie.