Fallait y penser à enrober des séquences politiques tumultueuses de la douceur sensible et persuasive de l’ASMR. Deux pratiques qui avaient fort peu de chances de se rencontrer à priori. Mais pour notre plus grand plaisir, la politique chuchotée au creux de l’oreille est devenue la spécialité d’un grand “détourneur“ Maël Coutand aka Le Tréma. Des vidéos thérapeutiques et indispensables.

C’est le moment idéal pour vous proposer ce moment de détente salvateur dans cet entre-deux tours désagréable. Cela ne peut que nous/vous aider à prendre un peu de recul sur cette échéance de "pas le choix". Oui, une séance d’ASMR s’impose, et si elle est impertinente et drôle en plus, c’est tout simplement parfait. Le détournement politique n’est pas un genre facile, et on a bien l’impression que cette "recette" de transformation auditive vieillit très bien, et permet de relire et de se remémorer avec délice des pépites de la vie politique. "La politique divise les humain·e·s, le chuchotement les rapproche" murmure Le Tréma. Combien il a raison, la polémique susurrée a les accents de l’amour.
Fans de la première heure, il nous semblait intéressant de revenir sur ce phénomène politique et viral. Et on était très curieux de savoir comment tout cela avait démarré et va continuer. Car il suffit du savoir-faire et du savoir-choisir de son inventeur pour que cela continue longtemps, le réservoir de séquences politiques inspirantes n’est pas près de s’épuiser…
Du coup, on a posé des questions à Le Tréma et comme il nous a gentiment répondu, on en est ravis.

Le Tréma : "J'ai commencé à faire des vidéos il y a très longtemps. C'était l'époque des Skyblogs où j'avais fait des détournements déjà à l'époque, mais je faisais plutôt du lipsync sur différentes chansons et ça avait déjà pas mal marché. Et ensuite, j'ai continué à faire des montages, avec une régularité malheureusement trop peu présente. Ensuite, c'est devenu une partie de mon métier puisque je travaille en communication et notamment beaucoup sur les réseaux sociaux. Et la vidéo, c'est quand même forcément très très important pour véhiculer des messages sur les réseaux sociaux. Et c'est la partie que je préfère. Et en parallèle, effectivement, j‘ai démarré ASMR politics". 

L’ASMR (de l'anglais Autonomous Sensory Meridian Response, que l'on peut traduire par "réponse autonome sensorielle culminante" est une sensation distincte, agréable, de picotements ou frissons au niveau du crâne, du cuir chevelu ou des zones périphériques du corps, en réponse à un stimulus visuel, auditif, olfactif ou cognitif. Cette discipline sur internet est généralement à base de sons très légers et doux a pour but de procurer un effet de relaxation ou une sorte d’"orgasme cérébral".
Le Tréma : "Ça faisait un moment que je voulais faire une parodie de l’ASMR en l'appliquant à la politique. Ça faisait même plusieurs années. J'avais fait plusieurs essais, sans trouver la bonne idée. C'est quand il y a eu l'interview de Ségolène Royal face à Bourdin vers novembre 2020, dans laquelle elle parlait de "click and collect", "Black Friday", "Général de Gaulle", "Amazon", elle faisait semblant de ne rien comprendre et mélangeait tout ça, c'était assez ridicule.
Et donc du coup j'ai voulu faire un détournement qui au début n'était pas lié à la ASMR. Mais je me suis rappelé cette précédente idée. J'ai essayé et je me suis dit "voilà, ça marche pas mal" ! Du coup, je l'ai posté et ça a eu un succès immédiat".

Le Tréma : "Ensuite je me suis dit que c'était un format qui pouvait être potentiellement reproductible. Et donc j'ai fait plusieurs vidéos et c'est ensuite que j'ai trouvé le nom ASMR Politics. Puis j'ai lancé le compte sur Instagram, Twitter et c’était parti".

Le Tréma : "L'ASMR a un vrai potentiel comique en soi, car c'est quand même des mises en situations qui sont cocasses pour les gens qui ne connaissent pas du tout ce champ-là. C'est pour ça d'ailleurs qu'il y a plein de parodies et je suis loin d'être le premier à en faire. D'ailleurs, la plupart des personnes qui consomment de l’ASMR aujourd'hui au premier degré, ce sont des personnes qui ont souvent découvert le phénomène par les parodies. Ça participe à la popularité même de cette activité".

Le Tréma : "Comme L’ASMR, le champ politique est malgré lui aussi une source d'inspiration puisque c'est de ces absurdités que je tire mes séquences. Le paysage politique aujourd'hui fait malheureusement un peu pitié, on va dire. Et j'essaye de souligner ça par le chuchotement tout en essayant de divertir et de rigoler avec ça".

Le Tréma : "j'ai eu un commentaire récemment sous une vidéo qui me reprochait de "politiser le concept" ; j'ai trouvé ça assez cocasse de ne pas voir que le concept de base EST précisément politique (et le nom "ASMR Politics" aurait pu mettre la puce à l'oreille !). Quand on traite du sujet politique, que ce soit d'un point de vue humoristique ou autre, on prend forcément parti ; le fait de choisir telle ou telle séquence, tel ou tel angle, est nécessairement un choix engagé. C'est pour cela que j'évite au maximum de traiter le RN, parce que je ne veux pas faire penser qu'on peut rire de la même manière de leurs propos que ceux des autres politiques. Et je ne souhaite pas populariser davantage leur présence médiatique déjà très grande".

Le Tréma : "A l'inverse, j'ai aussi choisi de détourner des séquences de personnalités avec lesquelles je suis en accord et que je souhaiterais qu'on entende plus dans le débat public. Il y a de temps en temps, des fulgurances, des discours qui sonnent beaucoup plus juste, de façon humaniste. Et du coup, j'ai aussi envie de leur donner une autre forme de résonance à mon niveau. Parce que, paradoxalement, on écoute beaucoup mieux ce qui est chuchoté. Donc, j'ai aussi choisi des séquences avec lesquelles je suis très en accord pour les mettre en exergue, comme par exemple, Philippe Poutou au débat de 2017 qui dénonce les affaires de Fillon et de Le Pen. Ou Aurore Lalucq, qui s'insurge face aux propos de Julie Graziani qui dit qu'une femme ne devrait pas divorcer si elle est en situation de difficulté financière". 

Le Tréma : "La campagne présidentielle du premier tour a été assez inexistante à cause des événements en Ukraine et aussi à cause de l'absence de débat qui a été voulu, notamment par Macron. Donc il y avait assez peu de séquences exploitables mais là, on rentre dans un moment politique assez fort avec les résultats qu'on connaît de l'entre-deux tours, avec beaucoup de moments que je pourrais traiter mais malheureusement je ne peux pas tous les faire. Là, il y en a beaucoup trop. C'est un peu frustrant". 

Le Tréma : "Alors, le propre de la viralité, c'est qu'elle est inattendue. On ne sait pas quand elle arrive et jusqu'où elle peut aller. Donc oui, forcément, j'ai été très surpris. Je ne me suis jamais dit "c'est sûr, ça va marcher. On y va" ! Mais bon, quand j’ai posté la première vidéo, les retours ont été hyper positifs directement, c'était assez impressionnant. Parce qu'Il y avait des gens qui s'envoyaient mes vidéos, des connaissances qui me disaient : "Ah mais c'est toi qui a fait Mélenchon qui chuchote"…

Le Tréma : "Ça a été une spirale très vertigineuse à la fin de l'année 2020. Très stimulante aussi. Parce que ça a boosté aussi ma productivité et ma créativité. Et puis après avec la notoriété viennent aussi les critiques et ça fait moins plaisir, même s'il faut les prendre en compte, ça fait mal parfois. Et c'est pour ça que j'ai fait une pause.
Maintenant, l'objectif, c'est d'essayer, de reprendre un rythme convenable, de penser à la suite. En capitalisant sur ce format qui aujourd'hui a prouvé son succès sur les réseaux sociaux".

Le Tréma : "D'abord, il y a l'étape de la sélection de la séquence, c'est très important pour moi dans cette démarche. Le but, ce n'est pas forcément uniquement de rire, c'est aussi de faire passer des messages. Soit, je la repère tout seul sur les réseaux sociaux et du coup, je l'ajoute à ma longue liste. Soit, il y a aussi beaucoup de gens qui m'en envoient, j'ai une note dans mon téléphone avec peut être 50 sequences à faire. J'ai toujours des réserves si je suis en manque d'inspiration.
Donc une fois que j'ai la séquence, je transcris les paroles. Ensuite, je répète plusieurs fois. C'est très artisanal, je scripte sur un document Excel avec différentes lignes, chaque colonne correspondant à une personne différente et chaque saut de ligne est un temps de silence. 
Donc je répète avec mon écran d'ordinateur avec d'un côté le texte et de l'autre l'image pour essayer de faire bien correspondre le labial avec les paroles. Dans 99 % du temps, je reprends exactement les vraies paroles d’origine. 

Et ensuite, il y a l'enregistrement des voix avec mon micro sur mon ordinateur. Puis l’enregistrement des bruitages, c'est la partie la plus marrante de trouver le bon son.
J'utilise pour ça des moyens assez simples. Je saute sur mon lit pour faire des grincements ou j'utilise une poêle chaude dans de l'eau froide pour faire un "pschitt". Il y en a plein dans "ASMR Les policiers" où il y a des policiers gazent une foule pacifique.

Le Tréma : "Pour finir, il y a le montage que je fais sur mon téléphone et la publication / promotion sur les différents réseaux sociaux. Ce qui prend un peu de temps puisque ce n’est pas le tout d'avoir l'objet, il faut aussi savoir le mettre en avant sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas non plus insurmontable, mais c'est toujours pas mal de travail pour promouvoir tout ça".

Le Tréma : "Je n'ai pas de sentiment d'obligation de produire des vidéos. J'ai effectivement une grosse communauté, sur Instagram, quasiment 60 000 abonnés. Mais ce n'est pas une fan base. Je ne suis pas forcément attendu. Même si, pendant les périodes où je n’ai rien posté, je recevais quand même quelques messages pour savoir quand je posterai à nouveau... Mais en tout cas, je n'ai jamais ressenti de pression pour continuer à produire".

Le Tréma : "Je travaille en ce moment à l'approfondissement et à la diversification du concept ASMR politics. Je suis en discussion avec différents médias pour trouver d'autres débouchés. Le concept en soi peut être malléable, travaillé. Il y a un nouveau format normalement, qui devrait sortir d'ici juin. Je croise les doigts pour correspondre au temps politique de la campagne des législatives, avec des guests politiques qui pourraient être impliquées dans les chuchotements. Mais pour le moment, je ne peux pas en dire plus, je n'ai pas envie de me porter la poisse".

On a demandé à Le Tréma de partager avec vous quelqu’un qu’il aimait bien. 
Le Tréma : "Quelqu'un qui me fascine beaucoup depuis quelques mois, c'est Lena Situation une influenceuse que beaucoup de gens ne mettraient pas forcément dans la case "artiste". Alors qu'elle fait de la production de contenus vidéo hyper "quali" et qui marchent super bien. On aime ou on n'aime pas, mais ça demande dans tous les cas des compétences et de la créativité.
Elle a réussi à bâtir déjà un petit empire alors qu'elle n'a que 23 ans, que c'est une femme qui n'est pas blanche, et malgré un certain nombre de polémiques suscitées malgré elle sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas forcément les personnes qui, malheureusement, réussissent le plus facilement
Je la vois un peu comme un sujet d'observation de ce qu’est un enfant pur produit du web, fan des réseaux sociaux, j'ai assez hâte de voir ce qu'elle va faire ensuite.

Nous pour notre part, on va rester des fans de base d’ASMR politics et on a hâte de bouloter les nouvelles vidéos que Le Tréma va produire. C’est devenu un compagnon indispensable dans notre vie politique.