Il peut être utile parfois de faire de petits retours en arrière, surtout quand il s’agit des films au propos urgent du duo franco-allemand éco féministe Neozoon. Elles sont à l’origine d’un certain nombre de chefs d’œuvres activistes indispensables utilisant une forme d’une sauvage efficacité. 

Le collectif d’activistes créatives qui porte ce nom a été fondé en 2009 par des artistes entre Berlin et Paris. Leurs actions et performances se déroulent principalement dans le domaine public : sur le web mais aussi en performances dans les rues de grandes villes, ou dans des institutions publiques. Le collectif s'intéresse au rôle de l'animal, qu'il soit vivant ou mort, et son rapport avec les humains dans un environnement urbain ou sauvage.

Formellement les Neozoon utilisent un procédé tout à fait en accord avec leurs principes puisqu’elles font principalement du recyclage d’image ou "found footage". Il leur suffit de récupérer, triturer, compiler avec grand talent des vidéos qu’elles "chassent" sur YouTube pour tenir un propos d’une force brutale. Car l’homme met en scène, filme et met en ligne sa domination destructive sur les espèces animales avec une fierté obscène, Neozoon ne fait que le souligner par la qualité de leurs montages. 

Les Neozoon racontent dans le détail leur démarche dans un entretien très complet mené par Anat Pick, enseignante en études cinématographiques. Avec son accord, nous vous relayons quelques passages qui vous convaincront facilement de l’intelligence de leur propos et de l’utilité de leur action.

Neozoon : "Le nom du collectif et notre anonymat étaient étroitement liés lors de notre fondation. Neozoon est le terme grec pour désigner les espèces non indigènes, introduites, qui se sont installées dans un endroit où elles ne vivaient pas auparavant grâce à l'activité humaine. Elles sont souvent considérées comme nuisibles car elles déplacent d'autres espèces en raison de leur taux de reproduction élevé et de leur grande capacité d'adaptation. Depuis le début, nous nous sommes beaucoup intéressés à la perspective humaine par rapport aux autres espèces de la planète et nous avons commencé en 2009 par un projet d'art de rue à long terme qui a rendu l'anonymat nécessaire en raison de l'illégalité de nos activités". 

Neozoon : "Dès le début, il était clair que nous voulions être un collectif féminin pour nous opposer au langage visuel dominé par les hommes dans les rues et dans le monde de l'art. En outre, ce n'est pas une coïncidence si les femmes dominent le militantisme pour les droits des animaux. Dans de nombreuses sociétés, les femmes ont été comparées aux animaux, tant par leur statut que par leur infériorité perçue. L'empathie se fonde sur des oppressions communes. Nous nous considérons donc comme des artistes féministes qui luttent contre la discrimination morale à l'égard des créatures, simplement en raison de l'espèce à laquelle elles appartiennent, ce qu'on appelle le spécisme".

Neozoon : "L'utilisation d'images trouvées (ou found footage) a toujours été un élément central de notre travail. Lorsque nous avons commencé à faire des films il y a environ 10 ans, YouTube était encore une jeune plateforme, mais les vidéos d'animaux étaient déjà omniprésentes. Nous sommes fascinés par ce que le comportement des gens sur YouTube révèle de leur psychologie. Et partant du principe que dans le flot d'images actuel, il n'est pas toujours nécessaire de créer toujours plus, nous préférons travailler avec du matériel déjà existant. Cela permet de gagner du temps et de l'énergie et, en outre, les images trouvées font toujours référence au contexte précédent. C'est ce qui rend le travail avec ce matériel extrêmement excitant".

Neozoon : "Au début, il y a généralement la découverte d'un phénomène fréquent. Nous nous intéressons rarement à une seule histoire, mais recherchons toujours des phénomènes de groupe. Bien sûr, il y a aussi des inspirations à partir de textes, de livres ou de nouvelles d'actualité. Nous travaillons dans les deux sens, collectivement et séparément, par exemple, l'une d'entre nous s'occupe davantage du montage et l'autre de la recherche de la matière, et vice versa. 

Leurs films restent d’actualité (malheureusement) et rencontrent toujours un vif succès, comme cet incroyable "MY BBY 8L3W" datant de 2014 et encore projeté il y a un mois au Brussels Short Film Festival. (En lien en haut de l'article)
Neozoon : "Le déséquilibre du pouvoir entre les humains et les animaux devient visible, par exemple dans notre film MY BBY 8L3W. Dans la dernière séquence du film, des femmes allaitent leurs animaux de compagnie, ce qui inverse l'équilibre habituel du pouvoir. Les femmes servent leurs animaux en leur donnant leur lait nutritif et sain pour favoriser leur croissance. En regardant cette scène, presque tous les spectateurs ont été dégoûtés par la vue de ces femmes qui allaitent. D'autre part, la consommation de lait de vache est considérée comme absolument normale dans notre culture et fait partie intégrante de la tradition culinaire occidentale. L'humanité extermine les espèces animales et végétales plus rapidement aujourd'hui que jamais dans l'histoire. Un tiers de toutes les espèces animales et végétales sont menacées d'extinction et ce nombre augmente de jour en jour. Donc oui, il s'agit de l'incapacité de l'homme à établir une relation respectueuse et équilibrée avec les autres créatures et leur environnement".

Neozoon : "Malgré les dommages infligés aux animaux par les humains, il y a aussi l'autre extrême de l'affection exagérée. La fin de Good Boy-Bad Boy montre une collection de clips dans lesquels des chiens font le "truc du chien mort", résultat d'une astuce de dressage très populaire. C'est exactement cette ambivalence entre amour supposé et domination qui nous déclenche".

Neozoon : "Dans nos films de chasse, tous les protagonistes sont des chasseurs amateurs à la recherche du plus grand, du plus sauvage et du plus bel animal. Il y a cette aspiration infinie à la proximité et à la compréhension et beaucoup de gens ont le désir d'entrer en contact avec les animaux - même sauvages. Mais contrairement aux animaux que nous domestiquons, les animaux sauvages refusent. L'homme porte en lui son passé historique, ses racines animales. D'une part, c'est pourquoi de nombreuses personnes ressentent un lien profond et un amour pour les animaux. D'autre part, ces racines sont en permanence niées en traçant une ligne entre notre espèce et les autres créatures pour justifier leur exploitation et utilisation.

Neozoon : "Pour obtenir de bons résultats artistiques, nous avons appris à refroidir nos émotions. Donc, dans un premier temps, nous considérons ces vidéos comme du matérieau. Mais à la fin, nous montrons le résultat du refus des animaux dans le film, et nous espérons que cela parle de lui-même".

Neozoon : "Notre travail montre que les humains se comportent comme des animaux de troupeau. Et il existe sans aucun doute une sorte de psychologie collective, que nous essayons d'identifier grâce à la méthodologie de la répétition. La répétition est également un trait caractéristique de YouTube. Tout est constamment répété et imité. Il semble que cette mémoire collective se forme par cette répétition. Nous utilisons ce matériau et la méthode de répétition et d'imitation dans notre travail pour découvrir l'être humain comme l'animal le plus agressif sur terre".

Neozoon : "L'urgence climatique et le traitement humain des autres espèces sont directement liés, ils ne peuvent être considérés séparément. Notre préoccupation est de montrer les humains pour ce qu'ils sont : l'espèce la plus destructive de toutes. Et nous aimons mettre à jour l'échec humain à l'aide de matériel déjà existant et en déplaçant le contexte. Mais il ne s'agit pas d'une vision pessimiste ou optimiste, mais d'un questionnement critique sur les responsabilités d'une part et la souffrance d'autre part. Dans ce contexte, il est également nécessaire de parler du "Capitaloscène" en plus de l'Anthropocène. Tous ces problèmes écologiques et humanitaires sont créés par le système économique du capitalisme (ou, selon les termes de Donna Haraway : "cette machine exterminatrice bien financée qui sévit sur la Terre"). Nous devons donc réfléchir à de nouveaux modèles de société solidaires qui ne soient pas seulement anthropocentriques mais qui incluent toutes les espèces".

Neozoon : "Nous sommes dans une sorte de phase de transition en ce moment. Tout d'abord, il y a quelques projets de pipeline concernant la religion que nous aimerions terminer. Mais compte tenu de l'urgence climatique, nous aimerions nous concentrer sur un long métrage, bien sûr à nouveau sur la base du found footage.

Neozoon : "Les habitats des autres espèces sont de plus en plus restreints par notre comportement irresponsable. Et cela a, bien sûr, d'énormes implications pour cette planète et toute vie. La question de savoir si et comment ce monde va survivre est largement déterminée par un grand nombre de questions dont nous discutons ici : surmontez les structures patriarcales et capitalistes en reconnaissant pleinement les habitats et les besoins des autres espèces, et nous pourrions avoir un grand avenir" !