Intrigués par ce drôle de clip, mélange foutraque en collage vidéo ne s’embarrassant pas d’une quelconque perfection technique, nous nous sommes demandé s’il s’agissait là d’une réelle volonté esthétique ou d’une approximation de fabrication plus ou moins contrôlée. En vérité, un peu des deux et peu importe, car le résultat est très libre et drôle. Et puis en s’apercevant qu’il n’y avait qu’une seule personne derrière tout cela, on s’est dit que c’était l’occasion de nous payer une visite chez Cyma, homme à tout faire par lui-même et musicien multi taches.
Cyma est un homme à tout faire, pas celui corvéable à merci, mais plutôt l’homme affranchi, qui a trouvé sa liberté dans l’autonomie. Il est toujours épatant de constater que certains impatients, plutôt que d’attendre de réunir les budgets nécessaires, plongent eux-mêmes les mains dans le cambouis avec une bonne énergie, tout en utilisant des outils courants. Cyma est de ceux-là, un " musicien à tout faire " qui a appris la musique en autodidacte mais aussi à fabriquer l’image pour visualiser ses sons. Comme nous, il a fait le constat que nous baignons dans l’époque bénie des tutos sur YouTube, source de savoir universel, et qu’apprendre à se servir des logiciels nécessaires est à la portée de toutes et tous, il suffit juste d’une (grande) quantité de patience et de volonté pour y parvenir. Cet artiste-couteau suisse nous fait la démonstration qu’avec (beaucoup) d’acharnement, et un sens du système D malin, tout le monde peut le faire. Comme Cyma sait vraiment tout faire, y compris raconter son cheminement avec humour, le mieux est de lui laisser la parole, c’est tout à fait passionnant, voire inspirant.
Cyma : " Tout commence par le skate, mon père avait un vieux skate dans le garage (qu'il avait "acheté 10 francs dans une brocante") et, avec mon frère jumeau on a très vite voulu le nôtre. On a donc commencé le skate à 10 ans, et j'ai commencé à expérimenter avec ma première caméra vers 13-14 ans. L’univers du skate est très lié à la vidéo, la musique et à l'art en général. Il y a toujours eu un effort esthétique dans les vidéos de skate, que ce soit sur la manière de filmer, le montage, le choix de la musique, jusqu'à l'exécution des tricks elle-même.
La musique est venue beaucoup plus tard, j'ai appris la guitare vers 18 ans pendant un an, puis j'ai laissé tomber, par manque de motivation... Dix ans plus tard, j'étais surveillant au lycée et j'avais un weekend de quatre jours : c'était le moment parfait pour retenter de faire de la musique, restée un rêve inachevé dans ma tête. Plus précisément, j'ai eu un déclic en découvrant "Redbone" de Childish Gambino. C'était exactement le genre de musique que je rêvais de faire... Quelques jours plus tard j'ai acheté une guitare, cracké le logiciel Ableton, regardé des heures et des heures de tutos YouTube et c'était parti ! Cinq ans après, c'est toujours la seule reprise que je connaisse... "
Cyma : " Pour mon premier EP en 2019, j'étais pas mal inspiré par Mac DeMarco, mais entre-temps j'ai découvert Mac Miller (une semaine avant qu'il ne disparaisse... sacré sens du timing) et on peut dire que mon dernier EP "Waves" est grandement inspiré de ses deux derniers albums, "Swimming" et "Circles". Ma dernière chanson "Irony II" et son clip sont inspirés du clip et de la chanson "Good News" de Mac Miller. J'ai été transporté par ce voyage psychédélique façon collage et j'ai tout de suite eu envie de tenter de le faire à ma sauce. Pour la partie technique, j'ai utilisé des photos/vidéos libres de droits pour les fonds, que j'ai modifié sur un logiciel photo et/ou vidéo... Et par-dessus tout ça j'ai incrusté des vidéos de moi faisant du skate ou de la musique. Chaque scène est une sorte de collage numérique de plusieurs éléments. "
Cyma : " Je me suis mis à tout fabriquer moi-même, à la fois par choix esthétique et nécessité. J'ai commencé par le clip de "Mellow Monster". Comme je savais déjà filmer/monter des images grâce au skate, je me suis dit : pourquoi pas ? La chanson parle de la dualité qu'on peut avoir en nous, du coup je trouvais ça drôle de me fabriquer un masque de monstre pour créer mon alter ego. J'ai utilisé un ballon de baudruche, du plâtre et de la fausse fourrure.
Pour le même EP, je rêvais d'un clip en dessin animé (petit, je voulais devenir "dissinateur de dissins animés"), mais quand j'ai vu les prix des studios d'animation, j'ai vite compris qu'il fallait que je me débrouille. Heureusement je dessinais beaucoup quand j'étais enfant du coup ça m'est un peu revenu, et avec mes connaissances en montage vidéo j'ai pu faire le clip de "Everyday", ma première animation. "
Cyma : " J’ai envie de poursuivre cette fabrication autonome audio et image, mais maintenant j'aimerais bien aussi avoir un peu d'aide de personnes qui savent vraiment de quoi ils parlent (pour sortir un peu de mon style "système D" du mec qui fait tout "pas mal" mais rien "très bien", haha). Comme des ingé sons, des musiciens, ou pour les clips, des vrais studios d'animation. Mais tout cela a un prix et je n'ai pas les moyens pour l'instant malheureusement ! Mais je voudrais toujours avoir mon mot à dire dans la création et la technique, disons par nécessité psychologique : créer des choses me fait me sentir entier et épanoui. "
Cyma : " Le clip "Irony II", c'est uniquement de la sorcellerie informatique. De la modification de photos et de vidéos grâce à GIMP (logiciel photo un peu comme Photoshop mais gratuit :) et Premiere Pro (logiciel de montage vidéo). Comme je voulais un côté collage à l'arrache, j'ai fait le découpage des clips où je skate ou fais de la musique par des IA : il suffit de taper sur Google "détourer vidéo en ligne" et paf ! C'est mal fait, mais ça marche. Ensuite tu prends ce personnage détouré et une vidéo de nuages trouvée sur YouTube par exemple, tu les importes dans ton logiciel de montage vidéo et tu peux les "coller" ensemble en les superposant. "
Cyma : " Pour "Cycle" j'étais tombé par hasard sur Instagram sur un mec qui utilisait EbSynth, un logiciel gratuit qui peut transformer une vidéo en animation. J'ai commencé par me filmer avec mon téléphone en train de chanter la chanson en playback. Ensuite j'ai mis cette vidéo dans Adobe Premiere Pro et je l'ai exportée en images JPG seules (mon téléphone filme en 30 images secondes, ça m'a fait environ 6000 images, c'était terrible !). Maintenant le jeu c'est de redessiner certaines images avec un logiciel photo, comme on le ferait avec un papier calque. Tout à la souris parce que pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué (et je n'ai pas de tablette graphique…) Une fois que c'est redessiné, je peux rajouter des couleurs et un fond vert. "
Cyma : " Ensuite cette image redessinée, on l'importe dans EbSynth ainsi que toutes les images de la vidéo, et EbSynth est censé "calculer" les dessins correspondants à toutes les images restantes. Sauf que… le logiciel faisait plein d'erreurs sur les lèvres et les dents du playback, et du coup j'ai dû redessiner énormément d'images. A réimporter ensuite dans EbSynth qui recalcule, puis tu redessines les erreurs, tu réimportes, il recalcule, tu redessines, il recalcule etc, etc, etc, etc, haha ! C'était une fausse bonne idée et ça m'a vacciné de l'animation pour un moment. "
Cyma : " Pour les autres dessins animés ("Everyday", "Blue Bubble", et "Irony I") j'ai dessiné au feutre sur des feuilles blanches, dessins que j’ai pris en photo avec mon téléphone pour les mettre sur mon ordinateur, pour ensuite rajouter les couleurs sur GIMP (un outil d'édition et de retouche d'image, diffusé sous la licence GPLv3 comme logiciel gratuit et libre). Ensuite tous ces dessins recolorés, je les colle les uns derrière les autres dans un logiciel de montage vidéo, et paf, ça fait des Chocapics. C'est ce que j'ai préféré faire, c'est plus organique, de l’image par image classique. Ça prend beaucoup de temps, mais ça fait beaucoup de bien à faire. :) "
Cyma : " Je partage avec vous un artiste que j'ai découvert récemment et qui m'a beaucoup plu : Djo. Son vrai nom, c'est Joe Kerry et c'est marrant parce que c'est l'acteur qui joue un des personnages principaux de la série Stranger Things. Il fait de la très bonne musique, la production est super propre sur son dernier album "Decide". Je vous encourage à écouter l'album ainsi que la chanson "Roddy" qui a un beatswitch très intéressant à la fin :) "