De prime abord, les tableaux de Mirza Cizmic pourraient ressembler plutôt à des photos familiales typiques, et d’apparence ordinaire, de déjeuners, de discussions, même de moments de délassement, mais ils vous amènent un instant plus tard à espérer que vous ne vous retrouverez jamais à déjeuner avec une arme pointée sur vous ou en face d’un oncle ultra-exhibitionniste et très insistant

Chez Mirza Cizmic, il y a toujours un danger sous-jacent ou une déviance à fleur de peau dans le cocon familial à l’abri des regards extérieurs, un huis clos où la folie peut librement exploser. Peut-être parce que la famille représentée est nombreuse, entassée et hétéroclite, car en plus des grands parents, petits-enfants, grandes tantes et tontons fous, s’y ajoutent de drôles d’animaux, des hommes à tête de singe, des nonnes assises avec des godemichés colorés devant elles, et beaucoup de superhéros. En cela, ces scènes ressemblent fort à des souvenirs d’enfance remixés par la mémoire. À les voir, on se demande toujours si ces épisodes ont dégénéré salement ou si c’est un fonctionnement habituel dans cette famille et tout est rentré dans l’ordre un fois de plus. 

Série Stolen Memories

Mirza Cizmic utilise principalement de la peinture à l'huile sur du papier apprêté. La surface du papier apprêté est très lisse, ce qui lui permet de mieux contrôler ses coups de pinceau. 
Faciles à lire de prime abord, les images de Mirza Cizmic semblent cependant pleines de symboles et de significations cachées, obscures et dérangeantes.
Mirza Cizmic : " Le langage que j'utilise n'est pas constitué de mots, mais de couleurs, de coups de pinceau expressifs et de lignes agressives. Le sens de la lumière, de l'espace et de l'atmosphère dans une peinture est le plus souvent naturel, mais aussi le résultat d'un travail acharné, ou parfois le fruit du hasard. "

Série Stolen Memories

Mirza Cizmic vit en Finlande, mais dans sa réalité tordue les empilements grotesques de personnages, d’objets et d’animaux ont pour décor des salons aux tapisseries et mobilier d’un autre âge, donnant la sensation de n’être ni en Finlande ni dans le présent. 
Né à Banja Luka en 1985, capitale de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, pays de l’ex-Yougoslavie en guerre entre 1992 et 1996, Mirza Cizmic avait entre 7 et 10 ans pendant ce conflit, le plus meurtrier d’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Les souvenirs qui remontent en lui sont faits de tensions, d’armes parfois, de folie environnante, de masques à gaz. La guerre est restée en dehors du salon, mais jamais très loin. 

Série Stolen Memories

Mirza Cizmic : " La peinture est mon expression, elle est semblable à la vie, c'est un processus qui me fait passer de la confusion à la compréhension. Pour moi, la peinture est avant tout une question de contenu. Le plus difficile a toujours été de savoir quoi peindre et pourquoi. En même temps, il s'agit d'une activité très intime et personnelle. Des événements spécifiques de mon passé ont été déterminants pour ma pratique artistique. Le langage que j'utilise est basé sur mon instinct, un instinct divisé en deux parties : une partie est objective et formelle tandis que l'autre est subjective et m'appartient en tant qu'individu. "

Série Stolen Memories

Pour la série Stolen Memories commencée en 2018, Mirza Cizmic expose des événements spécifiques de son propre passé, même s'il utilise les images faites par quelqu'un d'autre pour construire l’image en fonction de son idée ou de l’histoire à raconter. Il peint ce qu’il ressent ou ce dont il se souvient, et non pas ce qu’il voit.
Mirza Cizmic : " C'est une réponse pure à l'idée de mes souvenirs. Certaines réponses sont illogiques et je les laisse émerger en suspendant mon jugement critique. Dans le contexte de mon enfance, les peintures étaient censées imiter l'expérience subjective d'événements qui se sont produits. La plupart des peintures sont réalisées comme une combinaison de plusieurs vieilles photographies Polaroid. Il s'agit essentiellement d'une extension ou d'une amplification de l'approche du collage. "

Mirza Cizmic : " La photographie est extrêmement attrayante et instructive. Elle m'a longtemps servi de base pour peindre. J'utilise toujours des photos, même si je sais qu'un tel procédé fait désormais partie du langage de la peinture contemporaine. Je me sens libre de peindre à partir de n'importe quelle source pour construire un message. "

Chez Mirza Cizmic, les résurgences d’enfance sont souvent peuplées de super-héros un peu décatis mais toujours vigilants, ressemblant à des adultes déguisés à la va-vite. Mirza Cizmic : " Pour se protéger, il faut parfois porter un masque. J'ai grandi dans un environnement dangereux et sans grande protection, j'aurais pu prendre de nombreuses mauvaises directions. Beaucoup d'événements et d'interactions néfastes qui me sont arrivés dans le passé, surtout dans mon enfance, sont invisibles. Pourtant, je les ressens. Ils sont très subtils . Je ne peux pas leur échapper. Je me bats constamment avec mon passé, c'est une lutte sans fin et sans vainqueur. C'est l'une des raisons pour lesquelles je peins mes super-héros préférés. Peut-être que quelque part au fond de mon âme j'ai besoin d'être sauvé ou je l'ai déjà été. "

Mirza Cizmic : " Pour moi, c'est un véritable privilège de faire partie de la scène artistique en Finlande. Il existe plus de soixante-dix musées d'art et de nombreuses galeries, qui sont la véritable essence de la vie culturelle de ce pays. La Finlande possède l'un des meilleurs systèmes éducatifs au monde. C'est pourquoi je dois mentionner l'Académie des Beaux-Arts d'Helsinki, une académie qui propose des programmes très appréciés en peinture, sculpture, gravure et arts du temps et de l'espace. Ils encouragent les étudiants à trouver leurs propres forces, méthodes d'expression et intérêts dans les beaux-arts. C'est une grande expérience que de faire partie de cette Académie. "
Les œuvres de Mirza Cizmic sont visibles au Museum of Contemporary Art Kiasma, qui fait partie de la Galerie nationale, plus grand musée de Finlande, ainsi que dans plusieurs expositions ayant eu lieu à l’étranger.