Fait-il de la chanson française ou de la musique expérimentale ? Trop expérimental pour certains, trop chanson française pour d’autres, Èlg ne déstabilise que ceux qui veulent tout ranger dans des boites bien proprement. Nous, il nous accompagne depuis un certain temps déjà sans l’avoir jamais rangé, et dans ce post vous allez découvrir ses multiples activités dans les sons et les mots.
Pour la sortie récente de son album "Dans le Salon du Nous", nous partageons ce clip à la sombre atmosphère visuelle de Monsieur Pimpant. Des personnages plutôt gauches et rigolos vivent une petite histoire d’accident gentiment racontée par une voix calme et douce dans des nappes planantes, rien n’est agressif, et pourtant tout est tordu avec délicatesse, et par là assez envoutant.
Èlg navigue naturellement entre des constructions électro-acoustiques et des textes d’un surréalisme affirmé, il tente toujours ses manipulations verbales et sonores mais le tout reste parfaitement accessible. Certes, vous ne l’entendrez probablement pas en radio, ou alors une radio en ligne assez pointue (sur Lyl radio où il a un show régulier et très particulier). Il reste tout à fait volontairement hors d’un circuit commercial, et il faut un peu aller le chercher pour le trouver. Mais, en sa bonne compagnie, vous entrerez dans des galaxies sonores nouvelles où circule librement de la poésie du quotidien ou des dérapages plus absurdes. Tentez l’expérience et vous n’êtes pas à l’abri de devenir un fidèle, qui sait ?
Voici son auto-bio éclairante d'une certaine façon : Depuis 2004, Laurent Gérard alias Èlg (Opéra Mort, Orgue Agnès) ne cesse de dessiner l'équivalent sonore de spirales concentriques et de labyrinthes faits de cèdres, de ronces et de tripes. En renouvelant sans cesse son instrumentarium au fil des ans, il a jeté des ponts improbables entre musique concrète et songwriting (Vu du Dôme, Mauve Zone), spoken word diagonal et vortex (Amiral Prose), incantations électroniques en crypte et chœurs de blob (Mil Pluton, La Chimie). La langue est tantôt francophone, tantôt réduite à un babillage extraterrestre, invoquant le vieil homme, le fou, l'enfant, le revenant poussiéreux, le barde épileptique ou le messager de l'amour.
Èlg : "Ça ne m’intéresse pas de reproduire ce qui a déjà été fait. On n’a qu’une vie, autant essayer de creuser des choses qui nous sont propres. Pourquoi un certain type d’humour avec la langue française ne serait pas mélangé avec cette forme d’expérimentation sonore ? Pourquoi ne mélangerait-on pas Jean-Marie Bigard et Luc Ferrari ? J’affectionne ce genre de monstres, conçus à partir d’une greffe entre des choses antinomiques".
En 2019, il commence à composer une série de tableaux sonores pour illustrer de multiples états d'être, qui constituent l'album "Dans le Salon du Nous". Sorti le vendredi 26 novembre 2021 en vinyle et sur toutes les plateformes numériques sur le label belge Vlek. Il a travaillé avec son frère Mim à la production, et de nombreux collaborateurs à travers les morceaux. Le résultat est un voyage émouvant, chuchoté, chanté et crié à plat ventre sur le grand toboggan qui mène de la naissance au Bardo. (Bardo est un mot tibétain, traduisant le sanskrit antarâbhava, qui désigne, dans certaines écoles bouddhistes du Tibet, un état mental intermédiaire, comme ceux du sommeil, de la méditation, de la mort.)
Et Èlg d’expliquer : "Cette expérience a conduit à la formation de l'ensemble "La Chimie" pour puiser dans cette énergie brute, redessiner les contours du disque et se sentir suffisamment en confiance pour présenter en live le côté le plus pop de son cerveau fractal. Èlg compose de nouvelles chansons à tiroirs et convoque trois musiciens mutants dont l'imagination, la personnalité et l'élasticité quasi-végétale ont dépassé toutes les attentes dès les premières répétitions. Èlg et La Chimie est une hydre à quatre têtes qui scande ses poly-mélodies dans des chansons qui s'entrechoquent comme autant de petites galaxies donnant naissance à une nouvelle carte du ciel pop".
Voici ci-dessous, 45 minutes dans lesquelles vous immerger, juste pour vous donner envie d’y assister dans la vraie vie.
Èlg et La Chimie live au Magasin 4, Bruxelles 2021
Èlg : "Ce que j’essaie de transmettre, c’est une forme d’émotion, s’essayer à une musique transgenre qui s’étend de Coil à Smog, on n’est pas nombreux à l’avoir tenté".
Avouez que c’est séduisant.
Il a travaillé parallèlement depuis quelques années sur des bandes originales de film, et dans ce même registre, il enveloppé de fréquences palpitantes le premier long métrage du réalisateur Blaise Harrison : "Les Particules".
Une voie qu’il n’a pas fini d’explorer, sans aucun doute.
Et pour les amateurs de spoken word expérimental improvisé, son show radio sur Lyl radio "Amiral Prose" est un morceau de gâteau réjouissant pour les oreilles. Il y incarne toute sortes de personnages grotesques et attachants. "C’est un feuilleton radio avec des épisodes de dix minutes, des invités qui ramènent des segments de musique et de parole, et qui m’obligent à m’orienter selon leurs choix. Je m’invente un personnage et j’improvise des conneries au micro, parfois pendant six heures d’affilée".
Bon, il y aura forcément une des facettes ce multi-Èlg qui vous plaira, c’est obligé.
Èlg a cependant une méthode —à laquelle nous adhérons totalement— expliquée dans une belle interview en anglais que nous vous conseillons, donnée chez les excellents Fifteen Questions.
Èlg : "Je pense qu'il est absolument nécessaire de ne rien faire quand c'est possible. On ne peut pas être une machine et "créer" de nouvelles choses tout le temps. Les pauses sont obligatoires. L'âme a besoin de temps pour digérer toutes les expériences que l'on fait dans la vie. Toutes les émotions que nous rencontrons doivent être traitées. J'ai toujours un peu peur quand je parle à des amis, des artistes, qui enchaînent les résidences. Cela ne me semble pas naturel. Il est bon, dans la mesure du possible, de faire des choses qui n'ont rien à voir avec l'"art". Pour moi, c'est surtout là que je ressens de nouvelles intuitions. Quand je cuisine, quand je fais du vélo en ville ou quand je travaille dans le jardin de mon frère".
Laissons cher Èlg conclure : "Il n’y a pas beaucoup d’art là où il y a du confort. Il faut que ça frotte à un endroit, que ce soit piquant et un peu pénible, pour que l’alchimie se produise".
Dont acte !