C'est dans l'excellente galerie parisienne Arts Factory qu'expose et s'expose actuellement Féebrile. Dans un noir et blanc hors du temps, la fébrile fée est le personnage principal de saynètes figées dans un théâtre érotico-fantasmagorique. Luxurieux et effrayant en même temps. Une visite s’impose, à vos risques et périls...
Tentons de résumer simplement : Féebrile construit des saynètes à la fois drôles et inquiétantes, imaginaires et érotiques, dans des décors surréalistes baignés d'une lumière expressionniste. Des instantanés de tableaux cinématographiques, ou des scènes d’un théâtre singulier dont elle est souvent le personnage principal. Dans leur facture paradoxale, les images de Féebrile pourraient avoir été faites au siècle dernier et pourtant elles sont complètement de notre époque. Et c’est bien ce qui les rend si fascinantes. Le noir et blanc d'un autre temps, la charge érotique, le goût de l'autoportrait peuvent nous rappeler les autoportraits fétichistes et travestis d’un Pierre Molinier (1900-1976). Les décors en carton, les dessins et les masques de papier mâché permettent à son " personnage " (elle-même) de plonger dans des fragments de fiction à l’esthétique bien plus contemporaine, et un brin gothique.
Féebrile s’est construit son propre univers afin de pouvoir y faire vivre son corps nu, grimé, déguisé, transformé, tout en restant toujours elle-même. Son corps ainsi libéré et mis en scène peut enfin nous raconter les histoires qu’elle ne saurait exprimer autrement. Pratiquer l’autoportrait est pour elle un véritable langage avec lequel son corps raconte son journal intime. Ses photographies représentent plus de dix ans d’autoportraits, un long bout de vie mis en images, pendant lequel elle a grandi avec ses personnages mystérieux et les a laissé parler de leurs terreurs, blessures, rêves, amours, solitude, et désirs. Elle nous raconte.
Féebrile : " Mon idée et mon intention est de raconter toute une histoire en une seule image, que ce soit pour « Les Petites » ou dans mes autoportraits. Je mets en scène des sortes de contes modernes inquiétants et attirants à la fois. "
Si elle a beaucoup utilisé l’écriture et la vidéo comme moyens de transcender la réalité (elle a notamment écrit des nouvelles fantastiques), elle déverse désormais uniquement ses bouts d’histoires intimes dans ses photographies et la création de masques.
Féebrile : " Pour moi, tout est parti de ce qu'on appelle aujourd'hui les selfies. Un jour, une amie m'a prêté son petit compact numérique et j'ai eu le besoin de me voir, d'abord simplement jolie, comme les autres, puis dans un deuxième temps d’une façon différente. J'ai naturellement commencé à me prendre en photo, à voir à quoi je ressemblais, ainsi qu'à construire des personnages, à porter du maquillage que je n'aurais pas osé utiliser autrement. Adolescente renfermée, très peu communicative et blessée par la méchanceté des autres, la photographie m'a tout simplement aidée à m'en sortir, à m'accepter et à prendre confiance en moi. J’ai eu envie de me réapproprier une image totalement piétinée par les années de scolarité et le regard cruel de l'autre. L'autoportrait était une façon à la fois de s'aimer et de s'évader de soi. Il le reste encore et toujours, même si c’est maintenant d'une manière apaisée. Se mettre à la photo a été comme commencer une analyse, d'une manière inconsciente mais qui s'est révélée salvatrice. "
Féebrile : " Dans mon travail, il y a bien sûr la photo elle-même, mais aussi tout ce qui a permis de la construire. Comme la création d'un masque en papier mâché par exemple, qui est comme une manière de continuité de soi. Et puis toute la scénographie que je mets en place, c'est pour moi un peu comme du théâtre fixe. "
Les "tableaux" de Féebrile dégagent un érotisme troublant où l’effroi et l’étrange ne sont jamais loin. Ses corps peuvent être mutilés, voire éventrés, ils sont tout à la fois beaux et désirables, hideux et malades, un peu comme dans la vraie vie en vérité. C’est par ces sentiments à priori contraires qu’elle parvient à nous troubler en profondeur.
Féebrile : " Ce que cherche dans mon utilisation du noir et blanc, c’est tout simplement la distance que cela crée avec la réalité. Je me sens bien dans son côté plus "ancien". J’en aime vraiment beaucoup les ombres… et par conséquent aussi la lumière qui les permet. "
Féebrile : " Mon inspiration peut venir de tellement de choses ! Tout ce que je fais est nourri par le quotidien, les films que je vois, les livres que je lis. Et bien sûr, cela peut venir également des artistes que j'apprécie (plutôt des dessinateurs globalement). Et mes rêves, mes pensées sont alimentés par tout ça et cela se retrouve dans mes images. "
C’est tout à fait cette exquise impression de contempler des instantanés de rêves doucement terrifiants et luxurieux que l’on ressent devant les images de Féebrile. Son imagerie est en descendance directe de la pratique de la fantasmagorie de la fin du XVIIIe siècle, qui était littéralement " L’art de faire parler les fantômes ". Féebrile ne cherche pas à refléter une quelconque réalité mais bien de faire parler son inconscient riche, sombre et drôle à la fois.
Elle fabrique ses masques en partant de la forme de son visage. Masquée, elle reste ressemblante, on ne s’y trompe pas, on reconnait ses grands yeux, son visage allongé, mais elle est aussi une "autre" troublante. Elle créé une distance, un double, elle devient un personnage libre derrière lequel elle peut s’abriter et laisser vivre ses différentes dimensions. À la manière d’une actrice, ses étranges masques sont comme différentes facettes d’elle-même.
Féebrile : " Pour la série “Distorsions”, je cherche à créer des "Corps" là où on ne les attend pas. Je pense qu’avec notre façon de faire défiler des images sur les ordinateurs ou les téléphones, on a à peine le temps de les capter dans leur entièreté. Alors je m'amuse à mélanger entre elles toutes ces images fugaces pourtant bien imprimées dans la rétine. J'essaye de les ré-imaginer autrement afin de représenter ces créatures impossibles. L'idée est qu'il n'y ait (presque) pas de retouches, afin de préserver une identité réelle. Juste un corps détourné de sa dimension habituelle. Il y a dans tout cela un humour un peu noir qui n’empêche en rien la tendresse. "
Féebrile : " Je voudrais vous faire connaitre le travail d'Éric Antoine parce que, même si nos photographies sont très différentes voire opposées dans la forme - pour lui la photographie argentique, épurée et de moins en moins figurative - nous avons dans le fond beaucoup de thèmes, de rengaines, et d’obsessions en commun. Et aussi parce que c'est un ami et que je lui prête mes mains parfois. "
Féebrile est à la galerie Arts Factory pour son premier solo show avec "La Chambre des rêves", une immersion dans l'univers d'une artiste très singulière au sein de la photographie contemporaine. Ses tirages sont d'un prix très abordable. Et c'est jusqu’au 26 novembre !