Profitons de ce prix spécial du jury dans la catégorie Labo décroché au festival du court métrage de Clermont-Ferrand 2022 pour parler de cet objet visuel fou, "Swallow The Universe" ou "Engloutir l'univers“ réalisé par Luis Nieto. C’est archi mérité et une consécration de plus. D’autant plus que ce trip est depuis peu totalement accessible en vidéo à la demande sur Viméo pour une somme modique. Il est accompagné de divers documentaires réalisés par Nieto lui-même afin de vous raconter toute l'histoire. Avant de faire cette expérience visuelle, il est tout à fait jouissif de connaitre les conditions abracadabrantesques de la venue au monde de cet objet hors normes. Car il est réellement né dans la démence.
Nieto, réalisateur expérimental génial est reconnu comme un prince du canular et roi de la carambistouille visuelle souvent dans un registre de faux documentaires / happenings / expériences pseudo-scientifiques comme son "film" d’école "Carlitopolis" réalisé aux Arts-décos. (A voir en bas de post)
"Swallow The Universe" est son premier travail utilisant l’animation, qu’il a adoptée pour mettre en "film" les dessins d’un jeune japonais très particulier, Daïchi Mori. Il raconte tellement bien cette histoire de sa non-rencontre avec ce dessinateur très spécial dans les "documentaires" accompagnant le film.
Explications tout à fait rocambolesques et —à notre avis— indispensables pour accompagner le film. C'est un tout.
Nieto raconte l'histoire ainsi : "J’étais au Japon, en train de tourner un documentaire sur les animaux domestiques de Tokyo. En allant voir un club pour les vieilles dames et leurs animaux domestiques, Love pets of Tokyo, j’ai rencontré cette femme agée bizarre qui voulait rejoindre le club : elle n’avait pas d’animal domestique, mais un petit-fils qu’elle considérait presque comme un animal sauvage. Son histoire m’a intéressé, et j’ai commencé à lui poser des questions sur son petit-fils ; elle m’a montré quelques-uns de ses dessins. C’est un hikikomori, un type qui vit un peu en ascète, ne sort jamais de sa chambre, dessine et peint sans s’arrêter".
Nieto rencontre donc cette grand mère, et c'est par son intermédiaire que se feront tous ses contacts avec cet incroyable hikikomori qui non seulement s’est coupé du monde mais aussi s’est immergé dans une production graphique fantastique. Un art brut d’un genre nouveau.
La grand-mère a prêté à Niéto quatre rouleaux parmi des centaines qu'il a fait. Ce sont des mangas fleuves de type "emaki" —rouleau peint à la narration horizontale. Il les a mis dans l'ordre chronologique et a composé l'histoire de "Swallow The Universe".
Nieto : "La culture et la personnalité de Daïchi Mori sont déjà là dans ses dessins, et je n’ai fait que mon job de réalisateur : imaginer un rythme, des mouvements de caméra, une animation, en tentant de suivre du mieux que je pouvais, tout ce que j’ai su en comprendre".
Cette gentille grand-mère semble un peu dépassée par les circonstances et considère donc son petit-fils comme un petit animal qu'elle ne comprend pas. Il a perdu ses parents quand il était petit (dans un accident de voiture) et il s'est enfermé dans sa chambre pour ne plus jamais en sortir. Il refuse tout contact, avec un autre être humain que sa grand-mère. Mais vu son "incroyable" production, il est bien possible qu’il accède à une forme de notoriété sans que l'on voie jamais son visage. Grace à Luis Nieto, bien sûr.
Dans "Swallow The Universe", on se déplace sur ces rouleaux dans une sorte de travelling latéral, suivant le sens de lecture, ou les "personnages" ont été animés en 2D ou en 3D, et mis en voix pour raconter une sorte d’"histoire" avec une tortue et un poisson servant de guides. On navigue du coup dans des dessins en relief avec des zooms et des profondeurs. Des coups de loupe nous grossissent des détails, on suit ainsi la vision de Nieto tout en gardant sa propre lecture. Difficile de vous raconter cette histoire, mais cela ne constitue en aucun cas un obstacle pour s’y laisser engloutir avec plaisir.
Nieto : "Je ne crois pas qu'une œuvre d'art comme ça, même si je suis le réalisateur, ça m'appartient. Et un réalisateur, c'est un chef d'orchestre".
Nieto : "Je crois qu'on aura l'impression comme ça, pour un profane qui regarde le film, d'avoir juste pris une drogue sans avoir besoin de la prendre littéralement. Mais il aura une espèce de trip".
On vous le confirme, c’est donc un trip au prix très économique d’un café soit 2 euros dont on vous donne le lien.
C’est pour ainsi dire donné comme drogue visuelle.
Sans compter que pour vos deux euros, vous aurez en plus, une expo filmée "L'art de Daichi Mori", une série de mini docs en 3 épisodes " Daichi Mori, l’art d’inexister“, série dans laquelle Nieto raconte —avec une belle persuasion— tout de sa rencontre avec cet artiste brut et mangaka. Vous y entendrez même la "voix" de Daichi Mori et constaterez qu’il n’est pas forcément très gentil avec sa grand-mère.
Vraiment, il faut avouer que le storytelling (ou l'histoire racontée) est tout à fait à la hauteur du film lui-même.
Elle n’est pas belle, la vie ?
A ce prix-là c’est cadeau.
Voici son "Carlitopolis" de 2005 aux Arts décos :
Nieto réalise aussi plein de publicités dans un genre bien à lui.