Lorsqu’on parcourt le profil Instagram de Bebhinn, on remarque qu’elle passe souvent d’un style très différent à un autre, naviguant entre une esthétique géométrique, colorée, empreinte d’une certaine forme de mythologie, à une autre plus réaliste, hachurée et monochrome.
Bebhinn Eilish : " Mon processus et ma méthode varient beaucoup. Je travaille de multiples médias et j’utilise des outils différents pour donner vie à ma vision. Ce qu’il y a de commun à mon processus créatif c’est l’élaboration du concept. Je commence toujours par des croquis numériques. Une fois que je sais ce que je veux peindre, je choisis le médium le plus approprié : peinture à l’huile, aquarelle, crayon, parfois la pièce restera numérique. "

Bebhinn Eilish : " La majeure partie de mon travail se fait avant de poser le crayon sur le papier. Je n’aime pas travailler directement sur la page, j’aime savoir ce que je fais avant de commencer. Lire des livres, regarder des films, prendre des notes, regarder des œuvres d’art : tout cela me permet de construire mes concepts, mes images. Une fois que j’ai fait tout ça, il est temps de se mettre à la partie amusante : mettre tout ça sur le papier. "

Nous sommes le cosmos rendu conscient.

Au-delà de leur processus de création, ce qu’il y a de commun à toutes les illustrations de Bebhinn c’est la présence du corps féminin. Bebhinn a bien l’intention de se réapproprier les codes de la féminité à travers ses illustrations :
" J’ai créé mon univers artistique pour protester contre le male gaze [regard masculin - NDLR] et changer le cours de l’histoire de l’art qui veut que ce soient les hommes qui peignent les femmes. Mon univers esthétique est fait pour célébrer les femmes telles qu’elles sont et comme bon leur semble. C’est un monde visuel vers lequel s’échapper lorsque vous souhaitez vous célébrer vous-même et honorer votre féminin sacré. "

Vulva exploration.

Poils pubiens, sourcils épais, moustache, lait, sang : Bebhinn a un don particulier pour esthétiser les éléments du corps féminin omis ou cachés la plupart du temps. Elle leur offre une charge érotique toute particulière dans des scènes de masturbation féminine, d’orgies saphiques et de rituels féminins qui viennent questionner notre imaginaire collectif en termes de fantasmes.

Plaisir personnel.
Free bleeder - “Saigneuse” libre.

Bebhinn Eilish : " Dans mon souvenir, j’avais 10 ans lorsque j’ai commencé à faire des dessins érotiques. Mais c’est vers la fin de mon adolescence que j’ai vraiment exploré l’illustration érotique comme outil de communication autour des tabous liés à la féminité et au corps féminin, tels que les poils, la masturbation féminine, les règles, etc… Je suis vraiment reconnaissante d’avoir grandi dans un foyer exclusivement féminin avec une mère merveilleuse qui m’a toujours soutenue dans ma libération. Elle n’a pas seulement nourri mon talent artistique et accepté avec tout son amour mon côté queer, elle m’a aussi inspirée dans la création d’un art féministe puissant. C’est en réalisant que toutes les femmes n’ont pas la chance d’avoir ce genre de relation dans leur famille, qui leur offre une ouverture et un “safe space” pour questionner et parler des tabous, que j’ai décidé de créer un art qui soit une ressource pour les femmes qui souhaitent désapprendre leur propre misogynie et créer des bases plus solides pour le futur des femmes et des droits des femmes. "

Échapper à la peur.
La puissance des femmes.

L’art de Bebhinn a donc une dimension collective et éducative importante. Comme si elle nous prenait par la main pour nous inviter à entrer dans les rondes de sorcières et de prêtresses représentées dans ses illustrations. Et pour autant, Bebhinn reconnaît être la première à profiter des effets émancipateurs de son art.
Bebhinn Eilish : " Mon art est ce qui donne le plus de sens à ma vie. J’ai vécu toute ma vie en sachant que j’allais être artiste et que ce serait la seule chose qui allait me satisfaire et me motiver. Mais je n’aurais jamais imaginé que mon art allait devenir ce qu’il est devenu aujourd’hui. Mon processus créatif est le reflet de mon parcours à travers mes découvertes sur la féminité, sur ce que j’ai appris sur moi-même et sur notre expérience collective de femmes vivant dans un monde patriarcal, construit par les hommes, pour les hommes. "

Le discours émancipateur de Bebhinn reflète une certaine confiance en soi qui a le don d’en inspirer plus d’un.e. On le voit à travers ses échanges avec ses 29.8k followers sur Instagram, souvent emprunts de respect et d’admiration mutuels. Bebhinn n’hésite pas à exposer sa crinière rousse et son minois d’elfe super puissante sur son compte et cela lui donne une fraîcheur et une dimension humaine toute particulière. On a cependant eu envie de lui demander si ce genre d’exposition sur les réseaux sociaux, lorsqu’on traite de thématiques érotiques et féministes, n’avaient pas tendance à titiller toutes sortes de trolls et autres haters.
Bebhinn Eilish : " Comme tou.te.s celles.ceux qui partagent du contenu sur les réseaux sociaux, j’invite le public à commenter, questionner, liker (ou non) mon travail. Et bien sûr, cela provoque toutes sortes de retours. Si j’ai reçu des messages absolument magnifiques, inspirants et motivants, j’ai également pu recevoir beaucoup d’attention non désirée. Je pense qu’étant une femme vivant encore dans un monde patriarcal, je suis sujet au ridicule et à certaines opinions pas forcément bienvenues. Je reçois parfois des messages haineux, des photos et des vidéos pornographiques non désirées, et une avalanche de questions provenant d’hommes qui se demandent combien je suis poilue moi-même. Heureusement, je suis assez résiliente et ces commentaires ne me dérangent pas. Mais bien sûr ils sont décevants, et ils sont malheureusement le lot de nombreuses artistes féminines qui partagent leur travail en ligne. "

Soins personnels.

Et lorsqu’on parle d’autres artistes avec Bebhinn, c’est étonnamment un artiste masculin qu’elle cite comme influence majeure : " Mon artiste préféré est William Crozier. Je pense que les gens sont souvent surpris que je ne cite pas une artiste féminine ou bien un.e artiste qui explore des thèmes similaires aux miens. Mais je suis tout simplement fascinée par le travail de Croziers, ses couleurs intensément vibrantes, le chaos de ses paysages, et le sentiment sinistre que provoque en moi sa série de portraits de squelettes. Il n’y a pas de meilleur univers pour moi que le sien. "

De notre côté, c’est Marie Casaÿs, interviewée en septembre dernier, qui nous a fait découvrir Bebhinn Eilish. Et nous la remercions infiniment pour cette belle révélation !

Le cœur ouvert.