On ne connait donc pas son nom ni son visage, et malgré son #anticeleb, elle a malgré tout une jolie notoriété en ligne tant cette série est sublime et attachante. Threadstories arrive à se renouveler à chacun de ses masques en fils et pourtant on reconnait son style immédiatement. Sa marque de fabrique est aussi dans la facture des autoportraits photographiques dans un cadrage et un style sobre très tenu. Cela fait suffisamment de temps (5 ans environ) que Threadstories travaille sur ce projet pour avoir constitué maintenant une galerie peuplée d’une bonne quantité d’êtres chevelus et colorés à l’air plutôt gentiment hirsutes plus que vraiment effrayants. Ils sont souvent très expressifs, certains semblent même en souffrance, on est en tous les cas facilement en forte empathie avec eux. 

Son anonymat protégé ne sera surtout pas levé ici, mais on est par contre particulièrement curieux d’avoir quelques explications sur sa démarche et sa façon de procéder, histoire de démêler un petit peu cette belle histoire de fils.

Threadstories : "Ma façon actuelle de travailler a commencé en 2015 lors de la fabrication d'un masque à porter lors d'un festival. Je suis tombé sur ma combinaison de techniques en essayant de trouver comment réaliser l'idée que j'avais en tête. J'ai d'abord fabriqué une cagoule, ce que je n'avais jamais fait auparavant, cette cagoule a ensuite fait office de base ou de surface sur laquelle j'ai commencé à construire la forme et à sculpter en ajoutant des fils. Cette méthode de construction d'une forme malléable m'a semblé avoir un potentiel infini et c'est là que la compulsion a commencé". 

Threadstories : "J'ai obtenu un diplôme en sculpture des beaux-arts en 2004, puis j'ai lentement glissé dans un état de paralysie par l'analyse pendant une période incroyable de 10 ans. Je n'avais vraiment rien à perdre lorsque j'ai commencé à fabriquer les masques, honnêtement, j'avais déjà fait le deuil d'être une artiste. Avec le recul, je me rends compte que l'importance accordée à l'idée plutôt qu'à l'objet aux Beaux-Arts était en conflit avec une influence éducative plus forte dans ma vie, celle de mes parents dans mon enfance. J'ai grandi entourée de créateurs doués, j'ai réalisé que j'étais plus à même de travailler directement avec des matériaux. Il m'a fallu beaucoup de temps pour me convaincre que c'était aussi une façon valable de faire de l'art".

Threadstories : "Les techniques que j'emploie sont toujours les mêmes, je crochète une cagoule, parfois avec des trous pour les traits, parfois non. Le fait de ne laisser qu'une bouche exposée invite le spectateur à une foule d'interprétations, tout comme la création d'une cagoule sans bouche et avec seulement des trous pour les yeux. J'aime tester ces changements subtils de forme et voir comment ils peuvent susciter de multiples interprétations. Je touffe ensuite les masques à la main. Les fils que j'utilise pour le touffetage créent un éventail infini de résultats à partir de la même technique, le choix du fil peut faire la différence entre un masque avec beaucoup de mouvement ou un masque avec une forme forte qui peut être brossée et manipulée pour prendre de nombreuses formes".

Threadstories : "Je photographie ensuite l'œuvre moi-même à l'aide d'un déclencheur à distance. J'ai envie que la forme me surprenne, sans plan ni conception préalable, je sculpte et manipule le masque pour qu'il prenne différentes expressions, encore et encore. Dès que j'enlève le masque, cette expression, cette forme, disparaît pour ne plus jamais se reproduire. Sculpter la forme malléable pour communiquer différents récits est très satisfaisant sur le plan créatif, car je suis toujours surprise par la gamme de résultats".
Pour moi, c'est la photographie ou le masque sur pellicule qui est l'œuvre d'art, pas le masque physique. Le masque n'est rien tant qu'il n'est pas activé par celui qui le porte".

Threadstories : "Une fois que le masque est photographié ou filmé, le masque physique est prêt à être déconstruit et reconstruit. Retravailler les masques encore et encore me permet de faire avancer les idées à un rythme plus rapide, j'éprouve plus de satisfaction à être expérimentale plutôt que précieuse. J'explore sans cesse les propriétés des différents fils et je pousse les matériaux, j'aime les associations non conventionnelles, par exemple crocheter une cagoule avec un fil fin puis utiliser de la peinture en spray ou un marqueur permanent dessus pour voir ce qui se passe. En général, je travaille de manière intuitive, sans conception ni dessin à l'avance. Chaque nouveau masque est une critique d'un masque précédent, on pourrait dire que je pense avec mes mains". 

Threadstories : "Au fur et à mesure que le travail s'est développé, Instagram, avec son interaction entre le personnel et l'artificiel, est devenu une plateforme intéressante pour partager le type d'art que je fais. L'œuvre remet en question la façon dont l'érosion de la vie privée à l'ère numérique façonne la façon dont nous nous voyons et nous dépeignons en ligne. Les masques empêchent le spectateur d'avoir une vision complète de l'identité de la personne qui pose, ce qui fait écho à la fausse image que nous donnons et que nous voyons en ligne quotidiennement. La plupart du temps, nous savons que ce que nous voyons sur les médias sociaux est faux ou falsifié, mais nous y adhérons quand même à un certain niveau, par exemple en ce qui concerne l'apparence physique d'une personne, son style de vie ou même simplement des photos de nourriture". 

Threadstories : "Je crois que la vie privée est précieuse et qu'elle devient rapidement une chose du passé. Le hashtag que j'utilise, "anticeleb", résume un peu tout cela pour moi, la recherche de l'exposition ou de la célébrité pour la célébrité". 
La beauté plastique de cette série était suffisante en soi, mais il est toujours bon de constater à quel point des explications sur la démarche, et les intentions de la personne derrière le masque démultiplie l’intensité du plaisir à les contempler. 
Tout est toujours une histoire de fils à tirer pour comprendre.