L'artiste visuel hollandais Frode Bolhuis est le père de charismatiques petits personnages colorés qui viennent s’installer et s’accrocher sur les murs des maisons qui veulent bien les adopter. ils deviennent des sortes de vigies diffusant des ondes bienveillantes et bienfaitrices.

Avec beaucoup de précision, Frode Bolhuis crée ces figures très réalistes et plus vraies que nature, comme des impressions 3D de personnages réels, alors qu'elles sont pourtant issues d’un imaginaire en roue libre. Ses miniatures humanoïdes (15cm env.) d’un monde parallèle sont merveilleusement reconnaissables par leur facture, leurs couleurs et aussi par leur posture verticale accrochées au mur. Des sentinelles solitaires, modestes et tranquilles, qui semblent veiller sur la maison un peu à la façon des saints accrochés traditionnellement dans les demeures anciennes. Mais ce sont des icônes contemporaines énigmatiques, sympathiques et pleines de positivité. "Il y a quelque chose d'encourageant dans mon travail. Je pense que la vie est belle et j'espère pouvoir le communiquer".

Frode Bolhuis vit dans la verdure à l'extrême limite d'Almere. Il y a conçu sa propre maison ainsi que pour d’autres. Il s'agit d'un bâtiment allongé et magnifiquement sobre, composé de 9 logements juxtaposés. Un havre de paix créé de toutes pièces à la frontière d'une nature un peu sauvage. Frode Bolhuis en est fier à juste titre car l’entreprise lui a pris plusieurs années et beaucoup d’énergie. Mais à l'intérieur, la vie y est sans doute apaisée et belle. De son atelier, adjacent à l'espace de vie, sortent ces personnages miniatures peut-être pour répandre un peu de bonheur et cette confiance dans la vie. On a demandé à Frode Bolhuis comment il en était arrivé à répandre ces ambassadeurs dans le monde au rythme maintenant d’un par jour. Et comme il aime ce qu’il fait, il nous a gentiment répondu

Frode Bolhuis : "Pour ce qui est de l’expression artistique dans la famille, c’est mon grand-père qui a commencé, il voulait vraiment aller à l'université d'art, mais ses parents ont dit : "non, tu n’iras pas. Tu dois être un ingénieur". Et l'ironie, c'est que l'école d'ingénieurs se trouvait dans le même bâtiment que l'école d'art. Il a donc été frustré pendant une bonne partie de sa vie, je pense. Et puis, beaucoup plus tard, mon père a voulu aller à l'école d'art, alors mon grand-père a dit : "je viens avec toi." Il y allait une fois par semaine, et mon père a suivi le cursus complet. Mais c'est certainement lui qui a déclenché la première étincelle et nous a toujours tous motivés. Il n'est jamais devenu un artiste professionnel, mais il a toujours aidé mon père qui l’est devenu ainsi que moi et mes sœurs".

Frode Bolhuis : "Mon père était donc sculpteur et j'adorais juste être dans son atelier. Mon père avait un ami en Angleterre et, un jour, il m’a dit : "tu sais, il a ce grand studio de sculpture, il a besoin d'aide, tu peux y aller et l’aider pendant les vacances". Et j'y ai passé un si bon moment que lorsque je suis revenu, j'ai dit : "vous savez, j'aimerais faire ça tout le temps. Alors mon père, dans une sorte d'impulsion, a dit : "Je peux faire en sorte que ça arrive". Il m’a fait arrêter l'école et j'ai passé les deux années suivantes en Angleterre comme assistant de ce sculpteur. Et c'était le choix parfait. Je m'ennuyais totalement à l'école. Donc j'ai toujours été un sculpteur, et je suis toujours très, très heureux d'être un sculpteur. J'ai commencé à 16 ans, et j'ai 42 ans maintenant. Donc ça fait déjà 26 ans". 

Frode Bolhuis : "J'ai commencé en tant que sculpteur pour l'espace public. Pour l'extérieur, pour les places, pour les hôpitaux, donc plutôt dans le domaine de la commande. Mais je n'avais pas deviné au départ que si vous faites ces gros projets, dont le résultat final est très beau, cela demande beaucoup de réunions. J'ai juste eu beaucoup, beaucoup de réunions et pas tant d'heures de travail de sculpture. Et c'était très décevant du coup. Il m'a fallu huit ans pour découvrir que je n’étais pas doué pour ça". 

Frode Bolhuis : "Ce que j'aimais vraiment, à l’époque, c'était de faire les maquettes, pour montrer comment les grandes sculptures allaient être. Et en fait, mes personnages actuels sont de cette petite taille. J'en ai fait mon activité principale, ce qui est une approche totalement différente où sans commanditaires, vous faites votre propre travail. Maintenant je sculpte d'abord, puis je vends ensuite, ce qui est beaucoup plus détendu".

Frode Bolhuis : "Aujourd'hui, et c'est récent, j'en fais une par jour, c'est pour moi une merveilleuse façon de travailler, c’est comme un journal intime. Mais il est très difficile pour moi de répondre à la question de savoir d’où vient l'inspiration. Ce que je constate maintenant, surtout depuis que c’est quotidien, c'est qu'il faut de la confiance, une confiance absolue. Je ne fais que suivre un flux.
Je sauvegarde toujours des images sur mon téléphone, des photos des sculptures que j'aime ou des œuvres d'art du passé. Et quelque fois, je les fais défiler pour trouver une idée, une approche ou une texture. Parfois, c'est juste une texture. Ensuite, je suis juste cette piste et le reste vient simplement.
Je lisais justement un poème de Rumi, qui dit : "Quand vous commencez à marcher le long du chemin, le chemin apparaît. " 

Frode Bolhuis : "Je dis de plus en plus que ce sont tous des autoportraits, car ils le sont d’une certaine façon, mais ils ne me ressemblent pas nécessairement. Je n'utilise jamais de modèle alors ils ont tendance à avoir ma posture et à faire les mouvements que je fais. Mais je veux faire alternativement un homme et une femme chaque jour. Et puis j'essaie aussi, vous savez, de me rapprocher de certaines ethnies, comme l'Afrique, l'Asie, mais quand même surtout l'Europe parce que je suis européen. Mais j'essaie de varier".

Frode Bolhuis : "Une fois la sculpture finie, vous la vendez, et elle va dans la maison de quelqu'un d'autre. Et là, elle agit avec sa magie tranquillement et, oui, c’est vrai, il y a du bonheur là-dedans. Mais les sculptures ne sont pas toujours heureuses. Certaines sont dans une position difficile, mais elles embrassent cette difficulté, elles l’acceptent. Cette acceptation, c'est ce que j'aimerais apporter dans les maisons des gens". 

Frode Bolhuis : "Je ne fais pas de l'art pour les musées. Je dis toujours que je fais de l'art pour les gens et leurs maisons. J'ai maintenant des clients partout dans le monde, principalement en Hollande. Je fais beaucoup d'envois, j’y joins une lettre explicative qui explique comment tout doit être fait. Je rends ça très facile pour les gens. Et ils font l’installation eux-mêmes la plupart du temps".

Frode Bolhuis : "Mais c'est aussi ce qui en fait le charme, vous pouvez l'avoir pour pas trop cher et l’installer vous-même. Ainsi, les sculptures quotidiennes font 15 centimètres et elles partent facilement, elles sont toutes vendues 400€. Mais j’en fais aussi des plus grandes qui demandent un peu plus de travail, ça prend soudain toute une semaine et là c'est 1600 - 1700€".

Frode Bolhuis : "Tout commence avec un fil de métal comme armature, comme squelette, je le peux tordre comme bon me semble. Puis j’utilise une pâte polymère appelée Premo! fabriquée par Sculpey. J'en ai de toutes les couleurs et vous la mélangez comme de la peinture. Donc, je fais mes propres mélanges et je commence tout simplement à modeler. Par exemple, je peux modeler la sculpture tout en jaune comme un corps nu. Et après je lui donne des vêtements, mais ils sont dans le même matériau mais d'une couleur différente. Je peux travailler la pâte en fine couche pour faire un tissu d’habillement".

Frode Bolhuis : "C'est un peu le bazar où je travaille ici. C'est plein de choses et les choses qui ne fonctionnent pas dans une sculpture, elles fonctionneront dans une autre. Je les récupère pour une prochaine car cette pâte Sculpey, vous pouvez travailler dessus pendant des jours, pendant des semaines, ça reste mou. Et quand vous êtes complètement satisfait, vous la mettez dans votre four de cuisine, 120 degrés pendant une demi-heure ou une heure. Puis vous la sortez et c'est prêt. C'est comme si c'était du plastique fort et résistant". 

Frode Bolhuis : "Si elles sont posées sur un socle certaines sculptures finissent sur le piano, qui est juste rempli d'autres choses et elles se noient en quelque sorte là. En créant une sculpture pour aller sur un mur, elle devient comme une peinture. Elle a son propre monde, sa propre zone, qui n'est pas entièrement remplie d'autres choses. 
Et c'est en quelque sorte devenu mon truc". 

Frode Bolhuis : "J'ai remarqué que celles sur lesquelles j'ai travaillé plus longtemps ou que je trouve très belles, il m'est difficile de m'en séparer. Je me dis parfois que je ne vais pas les présenter, je vais juste les retirer de la série à vendre. Mais ensuite je me dis que, non, c'est censé être dans les maisons des gens et je ne veux pas finir avec un studio rempli de sculptures. Je dois endurcir mon âme maintenant.
Ce qui est bien, c'est qu'à chaque fois que les sculptures partent, elles laissent un vide et vous voulez remplir ce vide. Et donc, vous en faites une nouvelle, qui n'est pas forcément meilleure, mais qui est juste nouvelle. Et c'est toujours agréable de faire de nouvelles choses". 

 Frode Bolhuis : "Je n'ai pas prévu de fin à ce projet et je suis amoureux de ce projet. Je l'aime absolument. Donc je vais certainement le faire encore longtemps. Mais je prépare aussi le projet d'aller dans les endroits où étaient mes ancêtres, mon grand-père et ma grand-mère, qui ont grandi dans le Nord et dans un village assez particulier. J'ai l'idée d'y aller pendant un mois, de ressentir tout ça, et de voir ce qui se passe avec mes sculptures. Parce que ce processus est tellement intuitif, vous ne pouvez pas imaginer. Je suis donc sur la voie de découvrir ce qui se passe quand on laisse les choses se faire. Alors c'est magique. C'est vraiment magique".

Frode Bolhuis : "Je vous partage un artiste que probablement beaucoup de gens connaissent, Grayson Perry. Je pense qu'il est juste incroyable. J'aime vraiment sa façon de travailler, il raconte beaucoup de choses sur la société et sur le contexte dans lequel il évolue mais il le fait très intuitivement. Et en plus, il raconte merveilleusement bien le processus, c'est donc lui que je conseillerais à tout le monde d'écouter aussi".
Il y avait eu une magnifique exposition de Grayson Perry dans un écrin absolu à la Monnaie de Paris.

 

Voilà si vous avez un mur vide prêt à accueillir une vigie bienveillante qui fera un peu de magie sur votre maison, vous savez maintenant à qui demander. Car ce Frode Bolhuis n'est pas prêt d’arrêter soyez en sûrs.