Il est plus important que jamais de partager le travail d’artistes russes. Ils souffrent souvent violemment des décisions prises dans leur pays allant contre leurs convictions. Et nombre d’entre eux se sont résolus à devoir tout quitter, pays, famille, atelier ce qui veut souvent dire qu’ils n’ont plus la possibilité de créer. Zhenya Machneva, elle, est partie de Russie, mais sans son volumineux métier à tisser, bien entendu.
Étant à l'étranger, elle a pu, sans risquer la prison, publier sur son Instagram : "Si je ne peux pas arrêter tout ce qui se passe, je peux déclarer chaque jour que je suis contre la guerre. On nous a tous appris depuis l'enfance à quel point c'est effrayant, douloureux et inhumain. Les livres, les musées, la culture et l'art m'ont appris à refuser toute forme de violence et je n'accepte aucun argument pour justifier cet enfer qui se déroule actuellement. Le monde était si fragile, mais c'était la paix, et maintenant il est écrasé par les bottes des soldats et les fantasmes paranoïaques malades. On dirait que ça ne va faire qu'empirer. Non à la guerre ! Aussi cliché que cela puisse paraître".

Penchons-nous maintenant sur ce singulier travail de tapisserie de la russe Zhenya Machneva, avec ces odes à la beauté de ces outils de production d’un autre temps. Le choix de la tapisserie et de son processus manuel laborieux est physique. Assise devant le métier à tisser, Zhenya Machneva répète inlassablement les mêmes gestes pour construire ses images. Une répétition gestuelle qui rappelle celle des ouvriers autrefois actifs dans ces usines aujourd'hui désaffectées. Le choix de la tapisserie est également politique. A travers le fil et le métier à tisser, Zhenya Machneva représente le patrimoine industriel soviétique devenu déliquescent. Ces machines et les bâtiments sont les restes d'une époque révolue, une époque où l'industrialisation et la figure de l'ouvrier étaient sur-glorifiées. Il lui appartient alors à revisiter ce patrimoine fantomatique pour lui donner une nouvelle existence. 
Nous partageons avec elle cette fascination pour ces anciens outils industriels et allons la laisser raconter comment elle en est arrivée à les mettre en mémoire par la tapisserie.

Zhenya Machneva : "Les tapisseries occupent la place principale dans ma pratique artistique. Je puise mon inspiration dans différents espaces urbanistiques et industriels. Je travaille beaucoup sur les paysages et les natures mortes, et il s'ensuit toujours que les objets que j'ai choisis sont tombés en décrépitude ou sont devenus quasi-détruits. Collections de pièces d'archives et d'images du passé en voie de disparition. Mais pour autant, j'utilise délibérément la technique laborieuse du tissage de tapisserie pour créer mes œuvres".

Zhenya Machneva : "Je suis particulièrement intéressée par une telle approche de mon travail dans l'art, alors que je vis à l'ère de la haute technologie. Mon but est d'atteindre le plus haut niveau dans le contraste entre une intrigue et une technique artistique".

Zhenya Machneva : "Je suis née à Leningrad, et j’ai grandi à Saint-Pétersbourg pendant la période de réforme, lorsque les usines et les fabriques ont cessé de fonctionner et ont commencé à se transformer en espaces déserts".

Zhenya Machneva : "Mon grand-père a travaillé pendant 40 ans à l'usine de Leningrad qui produisait des équipements téléphoniques. Plusieurs ateliers fonctionnent encore de nos jours. Il a observé de ses propres yeux la période faste de l'usine ainsi que son déclin. C'est exactement à partir du moment où j'ai visité cette usine ou, pour être plus précis, ce qu'il en reste, que j'ai commencé mon travail sur les "Archives des pièces".

Zhenya Machneva : "En vérité, j'admirais toutes les machines qui fonctionnaient dans les ateliers. Elles apparaissaient devant moi comme des sculptures, qui devenaient de véritables mémoriaux de la période passée, qui nous inquiète encore par ses échos".

Ci-dessus, "Guillotine".
Zhenya Machneva : "De nombreux mécanismes utilitaires m'intéressent en tant que compositions artistiques achevées. Lorsque je trouve de tels objets, leur abandon crée une ambiance particulière pour moi. Il est intéressant pour moi de deviner leur destination, leur aspect actuel et la ligne associative qu'ils suscitent. C'est ainsi qu'est apparue la tapisserie "Guillotine".

Ci-dessus, "Le bouquet".
Zhenya Machneva : "Le bouquet" et "Sans nom (Dans la cabine d'une grue de levage)" se rapportent à une vieille grue de quai, qui attend ses propres gréeurs. Le processus même de création des œuvres est très important et porte sa propre philosophie, sa relation à la tradition, et produit une confrontation contre le rythme rapide de notre vie".
Ci-dessous, "Sans nom (Dans la cabine d'une grue de levage)".

Nous souhaitons juste à Zhenya Machneva de retrouver un peu de paix intérieure et son outil de travail pour qu’elle puisse continuer à nous raconter des choses en tapisseries.