On a tous pour image de la Suisse, un pays calme et sage, avec des habitants pondérés et réfléchis, et bien voilà, cela s’appelle un cliché. Il suffit d’un collectif de réalisation multiculturel composé de six dangereux individus créatifs pour fissurer l’image. Ils s’appellent Exit Void ou " sorti du néant" ou "parti de rien". Ils fonctionnent à merveille en sortie de zone de confort, de préférence en impro et idées de dernière minute, allant même jusqu’au choix de décors juste avant tournage. Ce n’est pas un clan de prévoyants mais ce groupe autonome, fondé par deux frères d’origine macédonienne Emral et Birdjan Kadriov, enchaine les productions de clips et courts-métrages fortement ancrés dans la galaxie hiphop. Le reste des membres est d’origines très diverses et c’est peut-être leur force, Alessandro est originaire de la sicile, Alison de la Jamaïque, et Sébastien est costaricain. Ils sont quand même assez organisés pour arriver à maitriser par eux-mêmes toute la chaine de fabrication y compris dans des délais très courts. Car cette urgence justement semble bien être un de leurs moteurs en vitamines.
Ils nous ont (gentiment) tapés dans l’œil avec deux de leurs dernières productions ; ce clip de Vladimir Cauchemar (feat Benjamin Epps) et le court-métrage "Trou Noir" réalisé à la demande du rappeur de Périgueux, Joysad. Ils font vraiment du cinéma et développent une esthétique très "fiction de genre" mais bien fichée dans un réel fort et glauque, incluant de la violence crue et soudaine, avec une maitrise de tournage qui ne semble pas du tout improvisée au final. Leur image est souvent dans du orange très reconnaissable (avec des pointes de vert) qui rappelle avec joie du Lars Von Trier.
Comme on les a trouvés bien fortiches, cela nous a semblé être une bien bonne idée de visiter (d’urgence) toute leur production et de poser quelques questions à Emral Kadriov (co-réalisateur dans Exit Void) pour qu’il nous explique un peu comment ils fonctionnent.
Emral Kadriov : "Vladimir Cauchemar nous a contacté sur Instagram après avoir vu le clip de Slimka, Headshot. On n’avait pas beaucoup de temps et carte blanche. Donc on a voulu se challenger un peu en construisant une maquette de Tokyo et faire tout un tas de truc en effets spéciaux. On a tout tourné en Suisse, dans notre studio. On avait une fenêtre de 8 heures pour tourner avec Vladimir Cauchemar et Benjamin Ebs".
"Après ça on a beaucoup travaillé avec le label Because Music et ensuite on a fait un clip avec JSX qui est signé chez Booba qui a fait 1 million de vues".
Emral : " Le projet "Exit Void" a débuté en 2015, et prend une part importante de notre vie. Exit Void a été fondé à partir d’une impulsion créative un peu naïve, car nous étions tous des adolescents qui venaient de faire leurs premières découvertes cinématographiques, comme Denis Villeneuve ou Gaspar Noé. Ça nous a tous fait un déclic en simultané et on s’est dit : "si on faisait des films".
Emral : "On avait aucune formation particulière, aucun background dans ce domaine-là, et c’est uniquement la passion qui nous a motivé à le faire. On a tous plein de casquettes différentes et notre point commun c’est qu’on a tous appris à faire ça ensemble". Emral et Birdjan sont les réalisateurs, Alessandro est cascadeur et acteur du groupe, Alison est à la production, Morgane est actrice et Benjamin est en pause pour quelques mois.
Emral : "Ça commencé bêtement avec des films qu’on faisait en bas notre immeuble, des court-métrages, des petits sketches et au fur et mesure des années ça a pris plus de sérieux. Notamment, on est un peu rentré dans le circuit des festivals de court-métrage et de films. C’est là qu’on a rencontré nos premiers succès et défini notre style. Ça s’est fait très organiquement.
Aujourd’hui Exit-Void c’est un moteur créatif pour plein de projets, la fiction, l’évènementiel, les clips ou autres et on est beaucoup sollicité pour des projets culturels en Suisse et aussi pour le territoire français, et c’est assez cool" !
Emral : Notre aventure plus professionnelle a réellement commencé en 2019, quand l’artiste suisse Makala nous a invité à réaliser quelques épisodes/clips pour son album "Radio Suicide". On a eu une vraie connexion artistique et ça s’est répandu autour de nous.
La pandémie n’a pas eu d’incidence sur notre business. On n’a pas connu de crise, car les artistes avaient besoin de compenser leur manque de scène par plus de visuels et de productions. On a récupéré pas mal de boulots et je me demande même, si sans cette pandémie, on aurait pu avoir un départ aussi prolifique, aussi chargé".
En tous les cas, les artistes leur sont fidèles, et en redemandent, voici un autre clip pour Makala datant de septembre 2021.
Emral : "Aujourd’hui on arrive à en vivre et c’est super ! On est toujours les mêmes gamins que lorsqu’on a commencé, toujours aussi passionnés et on a la chance, dans les projets que l’on réalise, d’avoir la plus part du temps, carte blanche.
Lorsqu’on récupère un nouveau projet, on se réunit tous ensemble, selon les disponibilités de chacun, pour faire un brainstorming et on fait du ping-pong d’idées".
Emral : "Pour le court-métrage Mickael, c’est parti d’un concours de courts-métrages lancé par C-discount. Ça s’est fait très rapidement car on en a entendu parler une semaine avant la clôture, alors on s’est dit : "ok on a 5/6 jours pour faire un truc", dans les contraintes qu’on avait, c’était plus simple de faire un huis clos sans trop dialogues et d’aller au plus simple.
On a eu l’idée le lundi, on a tourné le mardi, monté mercredi/jeudi et envoyé le film le vendredi. Je m’amuse à dire que notre façon de faire c’est comme un braquage, tu rentres et tu ressors. Tu fais les choses avec la première impulsion sans trop de recul. Si tu as trop de temps pour réfléchir aux projets, ça te donne trop d’opportunité pour douter".
Emral : "Finalement on n’a même pas gagné ce concours, par contre on l’a envoyé à un festival en Suède où il a gagné le prix du jury et du public. D’ailleurs à ce sujet (petite anecdote) je m’en veux encore, car c’était pendant la pandémie, il y avait une cérémonie virtuelle en ligne, et ils m’ont appelé sur mon téléphone en direct lors de la remise des prix, et je n’ai pas réalisé que c’était eux. Ils attendaient qu’on réponde, en direct, et c’est un gros silence qui a suivi ...
On s’est super excusés"
Comme ils sont toujours prêts à réagir à n’importe quelle proposition, il leur en arrive certaines qui sont assez inhabituelles, comme un rappeur de Périgueux qui leur commande un court-métrage.
Un objet de 23 minutes s’en suit.
Emral : "Dernièrement, on a été contacté par un artiste qui s’appelle Joysad, qui voulait un court-métrage pour le lancement de son album et qui raconte l’histoire d’un mec paumé dans sa tête, aliéné de son environnement, qui perd la notion du temps.
À la base, ce court-métrage Trou Noir devait se tourner en Suisse mais la météo était pourrie. Mon frère était en vacances en Macédoine, il devait rentrer en Suisse pour le tournage et au téléphone il m’a dit : "Pourquoi on ne ferait pas le tournage ici" ? Et deux jours avant le tournage on a décidé de partir tourner dans notre village natal".
Décidément, Exit Void, ils ont l’air de ne pas craindre les mises en danger, car en plus du choix de décor de dernière minute, la région était la proie des incendies et leur village environné par les flammes. Mais ça ne les a pas empêchés d’y aller, de tourner avec leur famille et les gens du village. Et du coup, ils ont produit un court-métrage au décor plutôt inhabituel.
Emral : "On bosse beaucoup dans l’impulsivité, dans ce qui est disponible et de ce qui a autour de nous dans l’instant et on construit les projets autour de ça".
Il nous semble que ces impulsifs suisses Exit Void sortent du néant des films-clips tout à fait passionnants, et quand on leur dit qu'ils devraient bouger en France, eux veulent rester pionniers à Genève et inspirer autour d'eux en montrant qu'il faut juste faire sans attendre. Les artistes parisiens viendront bien en Suisse s'ils veulent être clippés par eux.
Cela nous parait certain !