Voilà un film fabriqué en pixilation avec donc un personnage réel et des vrais objets qui est maintenant en libre accès après avoir écumé les festivals. On le doit à une paire d’argentines de talent Agostina Ravazzola et Gabriela Sorroza. La magie de l’image par image opère et opèrera toujours et dans ce film vous aurez en plus le plaisir de contempler un presse-agrume de toute beauté.

L’unique et principal personnage M. Pix pense avoir le pouvoir télékinésique de déplacer les objets d'un simple geste de la main. Pouvoir qu’il utilise avec un grand sens pratique tous les matins dans sa routine immuable. Son programme matinal millimétré lui donne la fausse illusion qu'il a le contrôle sur tous les objets de son environnement immédiat, rasoir, journal, chaussures, le fameux presse-agrume… Cependant, tout va déraper sinon ce ne serait pas drôle, et les objets vont reprendre de leur autonomie, et la routine va se gripper. On vous laisse découvrir sans vous en divulgâcher davantage.

On est positivement ravis à la vision de cette petite magie visuelle par l’image par image racontant avec plein d’humour, notre comportement passif, notre manque de spontanéité, notre dépendance aux objets, la perte de contrôle sur nos vies dans le quotidien.
Dans Pixied, l'utilisation de la pixilation par le duo associant l'autrice-réalisatrice Gabriela Sorroza et la réalisatrice Agostina Ravazzola est non seulement intelligente mais aussi profondément efficace.
C’est en effet la technique idéale pour raconter à quel point le comportement humain peut être automatique et mécanique, et pour mettre en scène des objets à la conduite affranchie. Le montage, la conception sonore, les bruitages et la musique contribuent tous à exposer à merveille ce cycle de vie répétitif et rigide. Tout y est convaincant, y compris M.Pix bien entendu, incarné par Pablo Anguiano dont la performance technique n'est vraiment pas chose facile. 

On a du coup posé quelques questions à Agostina sur cet objet en image par image, auxquelles elle a gentiment répondu mot par mot. 

Agostina Ravazzola : "Gabe Sorroza (l’autrice scénariste-réalisatrice) voulait faire un court métrage, j'étais sans projet et je voulais partager le processus de création d'un nouveau court métrage parce que j'avais fait "The bridge", mon premier film en stop motion, vraiment seule, seulement avec l'aide de Belen Tagliabue, mon chef-opérateur à l'époque. Gabe m'a parlé de l'idée qu'elle avait eue pour un clip vidéo dans lequel un type était pris au piège dans une routine quotidienne. Un concept qui exposerait, nous, les êtres humains aliénés dans une boucle où nous allons seulement au travail tous les jours en suivant un système dans lequel nous sommes piégés. Avec ça, elle a aussi eu l'idée de faire un tournage en pixilation et d’un acteur, Pablo".

Agostina Ravazzola : "Alors j'ai dit oui à sa proposition et nous avons commencé à écrire le scénario et à faire tout le processus créatif pour maintenir toujours cette idée d'un gars piégé dans sa routine. Puis le reste des détails a commencé à venir quand nous avons commencé à écrire. J'ai une tendance à toujours raconter cette même histoire : Un personnage principal est enfermé dans un système implacable, un jour quelque chose se déclenche, puis le personnage réagit au système et essaie de le changer ou de le détruire". 

Ce film est fait donc avec cette technique particulière de la pixilation (terme emprunté à l'anglais "pixilated") ; il s'agit d'une technique d'animation consistant à animer des objets réels ou/et des personnes en chair et en os en les photographiant image par image.
Agostina Ravazzola : "La pixilation est une technique de stop motion, donc en ce qui concerne les objets, nous avons dû construire ou penser à des supports spéciaux pour nos objets, et nous avons dû les transformer pour qu'ils soient plus légers et que nous puissions les déplacer correctement image par image. Nous avons également utilisé des bras magiques (pinces articulées à long bras très solides) de Manfrotto, le meilleur outil qui soit pour déplacer des objets lourds suspendus par des tubes directement au plafond, exactement comme pour de la lumière lorsque vous ne pouvez pas utiliser de trépied
De même, avec notre personnage, Pablo, au début, nous le déplacions comme une marionnette, puis il a appris à s'animer tout seul et nous n'avions plus qu'à donner une direction, puis à corriger juste avec des mots, un peu à gauche, un peu à droite, et il avait un tel contrôle de son corps qu'il comprenait réellement de combien il devait bouger pour que le mouvement soit fluide et bien fait". 

Agostina Ravazzola : "Quand j'étais adolescente, j'ai suivi pendant plusieurs années un atelier de bande dessinée, puis ma passion pour le cinéma a commencé. Quand je suis entrée à l'Université de Buenos Aires dans le cursus de la conception audiovisuelle (cinématographique essentiellement), j'ai eu une année entière de spécialisation dans la production et le langage de l'animation. Pour moi, c'était le meilleur moyen d'exprimer mes deux passions, créer des mondes uniques au service d'une bonne histoire". 

Nous en avons profité pour lui posé quelques questions sur "Sow" son dernier film qui, lui, part maintenant faire la tournée des festivals. Vous le croiserez peut-être, qui sait ?
Agostina Ravazzola : "Sow est mon troisième et dernier court-métrage en stop motion. C'est le premier projet pour lequel j'ai pu obtenir des fonds et j'ai également eu la chance de faire la post-production dans le cadre de la résidence d'artiste Open Workshop de l'Animation Workshop, une prestigieuse université de Viborg au Danemark. Pour moi, c'était donc un grand pas dans ma carrière artistique, la première fois que je me suis approchée d'un véritable calendrier de production avec quelques ressources. Pas assez, mais un peu pour pouvoir couvrir les matériaux au moins".

Agostina Ravazzola : "A propos de "Sow" ("semer") lui-même, Alors, imaginez qu'un jour vous vous réveillez, et que toute la ville est verte, pleine de plantes. Imaginez qu'un jour il n'y ait plus d'électricité ou d'internet à cause de cette invasion de la nature. Bienvenue dans le monde de Sow, un monde dystopique où le système s'est arrêté d'un jour à l'autre. Où les êtres humains sont forcés par la nature à changer leur façon de vivre. Où le passé et le présent se confondent dans nos yeux et où seule la force du changement, de la différence, déplace et perturbe notre expérience audiovisuelle, faisant place à la réflexion".

Agostina Ravazzola : "Sow raconte l'histoire de Ricky, un scientifique et activiste, accusé d'avoir commis une attaque terroriste qui consistait à semer une plante qui a poussé et s'est répandue dans toutes les villes, détruisant les réseaux électriques et de communication, changeant le monde tel que nous le connaissons. L'histoire commence lorsque Ricky se cache de ses persécuteurs dans ce qui était autrefois son laboratoire et se souvient de la façon dont tout a commencé. Se sentant angoissé dans ce scénario, il tente de trouver une réponse à la raison pour laquelle la plante ne donne pas de fruits".

Agostina Ravazzola : "Sow est un court-métrage de marionnettes en stop motion, réalisé avec des décors à l'échelle. Les marionnettes ont été fabriquées en silicone, en résine et avec des armatures faites à la main. Le laboratoire a été conçu en 3D par moi-même. Je suis également scénographe, puis nous avons tout découpé à l'aide d'une toupie et d'un laser, avant de construire selon les principes de la menuiserie.
Les plantes ont été conçues numériquement, puis nous les avons découpées dans une machine de découpe laser de papier appelée "Silhouette". Les branches et les feuilles ont été découpées séparément, nous avons donc dû coller chaque feuille dans chaque branche, nous étions une armée de "papercrafters"(constructeurs en papier).
Puis nous les avons collés avec de la colle en spray dans le décor, branche par branche. 
Tout a été pensé et construit. C'était un processus magnifique et étonnant". 

 Agostina Ravazzola : "J'ai en tête un nouveau court-métrage en stop motion avec un thème érotique/amoureux expérimental. Je veux parler des relations, de la monogamie, de la polygamie, du sexe… etc. Je n'en suis qu'au stade de l'esquisse, je n'ai même pas commencé l'écriture. Il est vraiment difficile de faire ce genre de contenu artistique en Argentine, il n'y a pas de fonds nationaux ou spécifiques de l'institut du cinéma, alors j'envisage d'émigrer et d'essayer de trouver des financements internationaux, par exemple européens, puisque je suis également citoyenne italienne". 
 

Nous avons demandé à Agostina Ravazzola de nous citer un artiste qu’elle aime : "Je voudrais partager avec vous le travail de Mikey Please, très connu dans le monde du stop motion". 
Mais oui, un génie. Co-fondateur de Aardman animation, créateurs de Wallace et Gromit (entre autres).

Il nous reste à souhaiter bonne chance à Sow dans sa carrière naissante. Et merci à Agos !