Cette série de 100 portraits de l’artiste numérique norvégien Espen Kluge commencée en 2019, est une attirante porte d’entrée vers un art génératif mystérieux pour des profanes. Cet art créé par du code plonge souvent vers une abstraction ou une géométrie qui peut sembler froide pour beaucoup. Chez Espen Kluge il reste de l’humain expressif dans ces photos réinterprétées par du code Javascript bidouillé par ses soins. C’est sa façon à lui de dessiner.

Dans notre monde devenu tout numérique à toute vitesse, l'art génératif a complètement tiré parti de tout ce que l'informatique a à offrir, générant des œuvres élégantes et convaincantes suivant les mêmes principes et objectifs que ceux poursuivis par les artistes depuis les débuts de l'art moderne. La géométrie, l'abstraction et le hasard étaient importants pour tout l'art du XXe siècle, ils le restent pour l'art génératif. Et dans ces portraits d’Espen Kluge, on peut sentir cette ligne de force descendant tout droit du cubisme et de l’art moderne.

Pour se définir, Espen dit être fasciné par l'intériorité, l'exploration et les qualités méditatives mais chaotiques du processus créatif. Il pense que c'est, au moins en partie, le produit de ses propres problèmes de troubles bipolaires avant un traitement réussi. Il s'intéresse à de nombreux types de travaux créatifs, dont il est actif dans plusieurs catégories, et il aime les aborder en ajoutant un sentiment d'inconnu, généralement en utilisant des langages de programmation ou des outils/logiciels qu'il ne connaît pas, ou en mettant en place des systèmes numériques qui ajoutent des éléments de hasard.

Son art visuel tend à graviter vers le portrait où le visage humain est utilisé comme une toile pour l'exploration et l'improvisation dans le code. Il est fasciné par le lien entre l'expérience manipulée de la réalité qu'il a vécue à travers sa maladie et la déformation du visage humain sur une toile numérique.
Espen : "Les troubles bipolaires ont fondamentalement changé ma vie et ma façon de créer et de penser l'art. Mais il n'y a pas de bon côté à ce diagnostic.
Ce qui m'a sauvé la vie, c'est cet étonnant médicament appelé Lithium. Il m'a libéré d'une folie que je ne souhaite à personne. Si vous pensez avoir des problèmes de santé mentale, demandez de l'aide, ça peut et ça va s'améliorer" ! 

 

Espen : "En 2010, j'expérimentais une idée de logo interactif pour mon site web. Le concept général était un logo vectoriel abstrait basé sur une photo de moi qui réagirait d'une manière ou d'une autre au contenu de la page chargée et au mouvement de la souris. Je n'ai pas réussi à terminer le script mais je l'ai sauvegardé parce que son algorithme avait des qualités uniques dans sa façon de sélectionner des points dans les données de la photo source, j'y ai vu un certain potentiel pour créer des structures visuelles qui semblaient dynamiques et organiques, quelque chose que l'on voit rarement comme un produit de l'art génératif, qui a tendance à consister en des formes et des motifs géométriques et linéaires distincts. En 2019, j'ai repris le script et j'ai commencé à expérimenter en lui fournissant des portraits que je trouvais sur le web et j'ai découvert que certaines photos étaient plus "favorisées" par l'algorithme que d'autres. À partir de là, j'ai grossièrement ajouté quelques variables pour ajuster des aspects rudimentaires de l'algorithme afin qu'il puisse générer de nombreuses variations de chaque image et me donner un certain contrôle sur le résultat".
Voici le premier portrait de lui-même fait en 2010 :

L’objectif créatif d’Espen Kluge est clairement orienté vers la spontanéité et le semi-aléatoire. Il explique que le code —qu’il a mis au point— passe en revue tous les pixels d'une image de départ et en choisit quelques-uns de manière semi-aléatoire, puis les engage en tissant des lignes entre eux. Il peut agir en jouant sur cinq ou six variables pour orienter sur une couleur plus que sur une autre par exemple.

Selon Espen Kluge, son code n'est pas super propre, mais grâce à ses bidouilles, il s’est construit son propre outil pour faire de l'art.
La création de chaque image peut prendre entre dix minutes et une heure à Kluge. Il sélectionne souvent plusieurs images d'entrée, car certaines sont "plates et ennuyeuses" et il ne sait pas toujours pourquoi. Mais avec la pratique, il sait choisir des meilleures images d'entrée que le code "aime" mieux. Par exemple, les portraits avec des expressions fortes, des bouches ouvertes, une lumière marquée, des couleurs de peau riches, un maquillage radical semblent fonctionner le mieux
De toutes les manières, l'image de sortie ressemble souvent très peu à l'image source avec laquelle il commence.

Certains portraits les plus denses d'Espen Kluge ressemblent presque encore à des photographies, tandis que d'autres, plus explosés, ont un aspect plus géométrique et abstrait. Mais malgré tout si on les compare à l'art génératif traditionnel il reste encore une vibration humaine dans ce figuratif dégradé par le hasard. Et c’est ce hasard et cette surprise qui plait à Espen Kluge.

Espen : "Oh, oui, je n'aurais pas du tout la motivation de faire ça si je n'étais pas surpris à chaque fois. C'est un plaisir chaque fois que je m'approche de quelque chose que j'aime. Je n'ai pas une bonne main pour dessiner. Voici ce que j'utilise comme main pour dessiner. Parfois, les lignes et les formes peuvent être vraiment belles, et je ne pense pas que je pourrais calculer cela. Il m'est impossible d'avoir ces choses en tête avant de commencer. J'aimerais penser que c'est vrai pour tous les artistes génératifs. C'est un processus très ludique".
Son travail est en vente sur Superrare.