Mégalopolis est un projet que l’artiste numérique Benjamin Bardou est en train de bâtir de sa fascination pour les mégapoles. C’est un recueil de films comme autant de poèmes visuels sur une ville imaginaire en cours de construction ou de destruction. S’y plonger est comme vivre un songe en suspension dans une cité figée constituée à partir de bouts de réalité arrachés dans des villes du monde. C’est un temps suspendu dans lequel il faut accepter de lâcher prise et de flotter.  

Benjamain Bardou en est au huitième de ses poèmes visuels et technologiques. Par ces films Megalopis est une expérience immersive, dans des fragments de mégacités figées par une apocalypse ou tout simplement par une vision intérieure rêvée. Pénétrer ce monde pétrifié au moyen de mouvements lents de plongée ou de survol est cependant une expérience douce et accueillante. On a plaisir à se déplacer dans ce monde arrêté dont les volumes, personnes, bâtiments, objets ne seraient plus étanches et fuiraient lentement dans l’atmosphère ou dans l’eau, créant de la matière en suspension. Les contours sont flous, les formes se mélangent comme des visions cérébrales. On sent bien que tout vient d’un réel en train de se déliter, les enveloppes des choses se désagrègent en particules, d’une façon belle et lente, on flotte dans ce trip, comme une vision par opiacés d’un futur détruit, une perception déformée par le pouvoir de "paradis artificiels". Aussi il n’est pas si surprenant de découvrir que Charles Baudelaire est l‘inspiration de départ de Benjamin Bardou par ce texte introduction des "Petits Poèmes en prose". 

Charles Baudelaire : "Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant".

Malgré que l’on puisse très bien visiter Megalopolis comme un voyage sans en comprendre tous les tenants, nous avons eu envie d’en apprendre un peu plus. Nous avons posé quelques questions à Benjamin Bardou et il a répondu gentiment.
Benjamin Bardou : "Megalopolis est une recherche autour de la forme de la mémoire. Ce projet compulse différentes pratiques (2D, 3D, IA, montage, particules FX, etc ...) que j'essaie d'orchestrer sous la forme d'épisodes. Je vois ceux-ci comme des poèmes et leur réunion comme un recueil. C'est pourquoi l'analogie avec Baudelaire est toute trouvée".

Charles Baudelaire disait également ceci dans son introduction à "Petits Poèmes en prose" : "Un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superfine". 

De la même façon, le spectateur, peut circuler dans l’ouvrage de Benjamin Bardou comme dans une rêverie, s’arrêter, la reprendre, se laisser porter par cette déambulation tranquille dans ces parenthèses atmosphériques.

Benjamin Bardou : "Je me suis d'abord intéressé à la peinture en l'étudiant et en la pratiquant. J'ai ensuite découvert l'art du montage cinématographique et je me suis lancé le défi de réaliser mes premiers films en étudiant les grands maîtres du cinéma. J'ai fait des films expérimentaux autour des thèmes de la ville et du montage que je définirais comme des travaux de recherches pour trouver mon style".

Benjamin Bardou : "J'ai développé cette technique de nuages de point à partir d'un travail (le court-métrage Gloria Victis) fait dans la cour Marly du Louvre. J'ai expérimenté la technique de scan 3D autour des différentes statues de la salle. Le résultat voulu du film est photo-réaliste mais les différents tests pour parvenir à ce résultat m'ont donné de nouvelles idées par accident".

Pour vous donner quelques explications techniques : Le scan 3D produit un nuage de points de l’objet numérisé, qu’il s’agisse d’une statue ou œuvre d’art, d’une pièce mécanique ou industrielle, d’un bâtiment ou d’un site archéologique. Ce nuage de points est ensuite colorisé et post-traité pour produire un modèle 3D qui constitue un clone numérique de l’original. Le scan 3D est un outil qui "capture les informations du monde réel", intérieures et extérieures et permet d’obtenir des images photo réalistes en 3D précises et complètes.

Il existe deux grandes typologies de scanners : le scanner statique, posé sur un trépied, qu’il faut déplacer dans tout l’ouvrage, et le scanner mobile (chariot roulant, drone, sac à dos..), qui circule tout seul. Le Scanner est posé sur un trépied et tourne sur lui-même, à l’horizontale à 360°. En même temps, il émet un faisceau laser qui, grâce à un miroir, reflète sur les surfaces. En d’autres termes, ce faisceau est donc projeté à 360° autour du scanner. Lorsqu’il touche un objet (murs, fenêtres, conduits…), il relève un point, qui est ensuite mémorisé. Lors d’une prise de Scan, des millions de points sont ainsi relevés et forment ce que l’on appelle un "nuage de points“, qui est donc une représentation volumétrique du bâtiment scanné.

Benjamin Bardou : "Simulations est un des nombreux projets dérivés de Megalopolis. Disons qu'il s'agit de présenter différents enregistrements de notre ère qui seront utilisés par les firmes de Megalopolis pour générer les simulations historiques qui correspondent à notre époque. D'aucuns penseront que nous sommes donc déjà dans une simulation. Aussi, sommes-nous sûrs d'être les acteurs de ce rêve" ?

Benjamin Bardou : "Pour la partie création architecturale de Megalopolis j'ai une scène 3D globale qui compulse toutes les géométries de la ville. Je peux donc créer une caméra et générer des vues de cette ville. Pour la partie Simulation, je commence par filmer des rues avec lesquelles je produis un scan 3D. Je peux ainsi travailler avec les particules qui résultent de ce scan en jouant sur la matière, les formes et les couleurs. Généralement je produis des séquences et, lorsque j'ai une idée un peu plus narrative, je l'incorpore dans un montage pour générer un nouvel épisode. Bien entendu il n'y a pas d'histoire car Megalopolis est une ville sans origine ni histoire".

Pour les collectionneurs, sur son site Benjamin Bardou propose une page appelée "the Collection" pour mettre à disposition des éditions spéciales des différentes œuvres créées pour Megalopolis. Editions en NFT comme des objets de collection rares et uniques.
Benjamin Bardou : "Pour ma part, je considère les contrats autour des NFTs artistiques comme étant des moyens pour les artistes numériques d'accéder au marché de l'art.
Il s'agit sans doute d'un épiphénomène comparé à ce que cela peut générer lorsque ces contrats toucheront d'autres domaines plus grand public".

On a demandé à Benjamin Bardou de partager avec vous un artiste qui lui est important.
Benjamin Bardou : "Je vénère le graveur et dessinateur Charles Meryon qui a gravé des vues exceptionnelles de Paris. 
Baudelaire et lui se sont croisés à Paris. Même destins tragiques. Victor Hugo parlait des gravures de Meryon comme étant des visions".

Alors que Megalopolis est en constante construction, on ne peut qu'espérer pouvoir la visiter totalement et virtuellement dans une future expérience visuelle, car on aime vivre ce trip de Benjamain Bardou.