A voir ces grosses têtes disposées dans l’espace, on se trouve face à des effigies qui semblent à la fois très primitives et très contemporaines. Impressionnantes comme des têtes en pierre de l’Île de Pâques et expressives comme des figurines de comix ou mangas. Leur simplicité a quelque chose d’universel, d’intemporel et d’apaisant. L'artiste japonais En Iwamura considère que la céramique a le potentiel d'être l'un des langages internationaux, qui peut traverser les différentes cultures, les gens et les pays.
Photo : @masakiyokoyama
En Iwamura fabrique de grandes sculptures en céramique représentant des têtes aux traits faciaux minimalistes mais expressives. Les trous et les fentes font référence aux yeux et à la bouche sur des formes de tête bizarres. Des rainures uniformes et parallèles strient les surfaces d'argile en motifs complexes évoquant les motifs nets et sinueux des jardins zen. Ces grandes têtes sont ensuite disposées dans des espaces, extérieurs ou intérieurs.
Les recherches actuelles d'En Iwamura portent sur la manière dont il peut influencer et modifier l'expérience des spectateurs parcourant l'espace avec ses céramiques. Lorsque Iwamura décrit l'espace et l'échelle de ses œuvres, il fait référence à la philosophie japonaise du Ma. Ma (間) est un terme japonais qui signifie "intervalle", "espace", "durée", "distance". Ce terme est employé comme concept d'esthétique, il fait référence aux variations subjectives du vide (silence, espace, durée, etc.) qui relie deux objets, deux sons, deux phénomènes séparés. L’entre-deux en quelque sorte.
Photo : @masakiyokoyama
Les gens lisent et mesurent constamment différents Ma, et trouver le Ma approprié ou confortable entre des personnes ou des lieux peut permettre une relation spécifique à un moment donné. Par son travail, Iwamura a l'intention de créer une telle rencontre avec des installations adaptées au site, et de donner aux spectateurs, en entrant dans l'espace, l'occasion de reconnaître par eux-mêmes le concept du Ma. En Iwamura veut leur donner l'occasion d'en faire l'expérience directe.
L’Occident a découvert le concept de Ma à l’occasion de l'exposition " MA – espace-temps au Japon " au Festival d'automne de Paris, en 1978, exposition organisée par l'architecte japonais Arata Isozaki et le philosophe français Roland Barthes. L’exposition a ensuite parcouru le monde pendant une vingtaine d’années, diffusant l’idée de Ma dans les milieux culturels et artistiques occidentaux. L’annonce de l’exposition indiquait : " Au Japon, les notions de temps et d'espace sont unies dans un seul concept traduit par le mot Ma […]. Il n'existe aucune différence entre les deux notions de temps et d'espace telles que les perçoivent les Européens. […] Ce concept est le fondement même de l'environnement, de la création artistique et de la vie quotidienne au point que l'architecture, l'art, la musique, le théâtre, l'art des jardins sont tous appelés des arts Ma."
En Iwamura : "Avant de commencer à faire un nouveau travail, je ne fais pas d'esquisse et je me jette dans l'argile directement. Ma technique est appelée "coil building" (construction en serpentin) et couche par couche, je peux voir des lignes émerger. C’est couche par couche que j'ai la possibilité de décider de la direction que je veux prendre. La technique du coil building est comme un gribouillage tridimensionnel. Le résultat de la forme est le résultat de ma prise de décision. Je veux mettre mes propres histoires dans ces œuvres en céramique".
En Iwamura : "Puis, un jour, j'ai trouvé une ancienne figure funéraire très intéressante appelée haniwa (cylindres de terre funéraires japonaises), un artefact d'argile à visage minimal, qui a l'air très primitif, mais aussi très contemporain. Je voulais combiner ces deux idées comme beaucoup de cultures différentes qui utilisent la ligne dans leurs décorations. Au Japon aussi, j'ai trouvé de très vieux pots en céramique appelés pots Jômon, qui sont recouvertes avec de nombreuses couches de lignes en surface qui créent des caractères forts.
Maintenant, j'appelle mon travail Néo Jômon".
La période Jōmon ou l'ère Jōmon (縄文時代, Jōmon jidai) est l'une des quatorze subdivisions traditionnelles de l'histoire du Japon.
Elle couvre la période qui va, approximativement, de 13 000 jusqu'à, environ, 400 av. J.-C.
En Iwamura : "Après une première cuisson et une fois que j'ai atteint la température de base de 850°, j’applique le "glaçage" coloré dont j'ai fait moi-même la formule. Je pulvérise juste pour créer cette texture sur le dessus de mes travaux. Après cette pulvérisation, je les mets soigneusement dans ce four et je les cuis à nouveau jusqu'à 1250°. Il faut peut-être deux jours pour obtenir cette température. Et il faut aussi deux ou trois jours de plus pour qu'elle refroidisse suffisamment. Après avoir cuit ma pièce, mon travail est terminé.
En Iwamura : "Récemment, j'aime aussi expérimenter avec des peintures acryliques. La peinture suit la même idée que ma sculpture. C'est donc mon gribouillage en deux dimensions avec de la couleur. Pour moi, faire des allers-retours entre la 2D et la 3D me donne une nouvelle idée de la forme et de la façon dont je peux jouer avec l'espace intervalle. C'est comme si je me tenais toujours entre les choses et les choses.
Et j'ai aussi l'impression de me tenir entre ces deux choses".
Ce qui est la définition du Ma (間).