Nous vous partageons avec joie deux clips de facture très différente dus au le réalisateur expérimentateur Victor Van Rossem. Ils ont pour point en commun de parfaitement répondre à la demande de départ, l’un utilise un procédé analogique magique en adéquation avec le son du morceau et l’autre est une réponse hilarante à une demande inconvenante venant d’un groupe désargenté. 

Voilà donc deux clips d’un réalisateur dont ce n’est pas la spécialité, il fait principalement des documentaires, les clips pour lui sont plutôt l’occasion de tester, bricoler, évaluer de nouvelles techniques. D’expérimenter des choses sur un format court. 
Pour Morning In The Jungle, il a eu envie d’utiliser un dispositif miraculeux, inventé au départ par Tim Macmillan dans les années 80. On lui a demandé de nous raconter tout cela en détail, et comme il l’a fait, on est fort contents.

Cette technique magique appelée par la suite le "Bullet-time", un effet visuel obtenu grâce à un réseau de plusieurs appareils photos situés autour d’une action pour en capturer simultanément ou en léger différé plusieurs angles. Une fois montés, ces images donneront l’illusion que la caméra se déplace librement autour d’une action figée ou extrêmement ralentie. Le nom "Bullet-time" venant de la visualisation d’une balle arrêtée dans l’air autour de laquelle on tourne. 

Cette technique, popularisée par le film Matrix mais avait déjà été utilisée dans leurs travaux par Emanuel Carlier, Jean-Pierre Jeunet, Michel Gondry ou au cinéma dans "Perdu dans l’espace" ou "Blade" 4 ans avant.
Le "spécialiste" français de cette technique étant Emmanuel Carlier dont vous pouvez voir "Temps morts portraits" si vous suivez ce lien. (Puis au bas de la page) 
Set de tournage de Emmanuel Carlier : 

Preuve en est que l’on peut toujours proposer des déclinaisons de cet effet fascinant, nous trouvons un charme fou à cette version artisanale et expérimentale en 16 mm de Victor Van Rossem, et entièrement bricolée par ses soins. Peut-être est-ce dû au grain de la pellicule pour commencer. Mais aussi, puisqu’on est dans un médium analogique, on a un effet démultiplié par cette impression de circuler spatialement dans une scène "vraie". Notre cerveau analyse cette image comme du réel, et il y a une vraie sorcellerie à se déplacer dans cette réalité figée. Quelque chose de contraire aux lois du temps.
Mais laissons la parole à l’ami Victor Van Rossem pour qu’il nous raconte tout cela encore mieux.

Victor Van Rossem : "Il y a quelques années, je suis tombé sur une vidéo contenant des fragments du travail de Tim Macmillan. Je n'avais jamais entendu parler de lui auparavant, mais j'ai découvert que, dans les années 80, il avait inventé un dispositif Timeslice [Ndlr : tranche de temps] - une sorte de précurseur de ce que tout le monde connaît aujourd'hui comme la technique Bullet Time de The Matrix. Il avait réalisé une grande construction circulaire avec des caméras artisanales qui tournaient sur du film 16 mm et le résultat était absolument magnifique. Lorsque Black Flower m'a contacté l'été dernier pour réaliser une vidéo de Morning In The Jungle, Le flux de la chanson évoquait un sentiment de mouvement circulaire, et je me suis soudain souvenu de Tim Macmillan.
La chanson m'a en quelque sorte rappelé ces clichés de Timeslice que j'avais vus et j'ai lancé l'idée de recréer le dispositif à partir de rien". 

Victor Van Rossem : "J'ai souvent regretté cette décision, mais après environ 6 mois de travail, nous avons réussi et j'en suis très fier. Le dispositif final se composait d'une base en bois pour former le cercle, d'un guide en papier dans une enveloppe en caoutchouc pour rendre le tout étanche à la lumière, et de 86 petits appareils photos imprimées en 3D et équipées de petits objectifs convexes de 13mm. Le film Kodak de 16 mm pouvait être chargé dans l'appareil et le traverser entièrement grâce à un système d'enroulement fragile. Comme il n'y a pas de système d'obturation sur les appareils, tout devait se faire dans le noir complet, les photos étant elles-mêmes prises avec un flash"

Victor Van Rossem : "Pour ce qui est de l’animation et la réalisation, je pense que la graine a été plantée il y a longtemps, quand j'étais un enfant à l'école primaire. À l'époque, ma mère travaillait comme graphiste pour une chaîne locale de cinémas et, après l'école, je courais dans le cinéma en sautant d'un film à l'autre. J'ai vu beaucoup de belles choses à cette époque (ainsi que beaucoup de choses que je n'aurais probablement pas dû voir à cet âge-là).
La décision de commencer à faire quelque chose avec le cinéma m'est venue assez tard, au cours de ma dernière année d'école secondaire. J'ai passé l'examen d'entrée à l'école de cinéma et (étonnamment) j'ai été admis, et c'est ainsi que tout a commencé. À l'époque, je me concentrais surtout sur les films d'action, mais au fil des ans, je me suis également intéressé à l'animation".

On avait découvert tout d’abord Victor Van Rossem par ce clip pour Hi-Hawaii, et on était tombés de nos chaises de rire. Selon nous, la réponse à la demande frôle, ici, la perfection. Mais on s’en voudrait de survendre. 
Il y a au début du clip un texte exposant les premiers échanges entre le groupe et Victor Van Rossem, le clip étant le résultat de ce "deal".
Victor Van Rossem raconte : "Hi-hawaii m'a contacté sur mon email : "Nous aimons votre travail", ils ont dit. "Nous voulons que VOUS fassiez une vidéo animée en 3D pour notre prochain single". 
J'ai répondu : "Bien sûr, quand sera-t-il sorti ? Dans quelques mois ?" 
"Eh bien" ils ont répondu : "Il devrait être terminé dans environ deux semaines. C'est faisable ? Et, oh oui, nous avons un budget d'environ 600€, nous espérons que c'est bien" ? 
"Bien sûr", ai-je répondu, "Pas de problème du tout. Je n'ai pas de vie de toute façon". 
Victor Van Rossem conclut ainsi son préambule : "Mais j'aimerais quand même le partager avec vous. J'ai l'impression qu'il y a une sorte de morale dans cette histoire. Enjoy" !

Victor Van Rossem : "L'histoire est en partie vraie :) Il est vrai qu'ils m'ont demandé de réaliser un clip à deux semaines de la fin et avec un budget de 500 à 600 euros. C'est quelque chose qui arrive assez souvent dans ce "business", et je refuse toujours poliment, car dans des circonstances normales, il est tout simplement impossible de faire une telle chose. Mais je connaissais l'un des gars de Hi-hawaii et j'étais un fan de leur musique, et ils m'ont donné toute liberté pour faire ce que je voulais. J'ai donc dit : "OK, faisons en sorte que cela fasse partie de l'histoire". Mais c'était la seule et unique exception possible. Un bon conseil : si vous avez un groupe et que vous voulez faire un clip, assurez-vous d'avoir le temps et le budget nécessaires.

Victor Van Rossem : "Les gars de Hi Hawaii ont adoré la vidéo. L'un d'eux m'a dit que ses enfants ne le prenaient plus au sérieux après l'avoir vue. Lorsque nous avons publié la vidéo, nous voulions faire semblant de nous disputer pour de vrai, de nous insulter sur Facebook, etc. Mais nous n'avons jamais réussi à le faire, ils sont trop gentils. Mais je viens de me rappeler qu'ils avaient dit qu'ils allaient m'offrir une margarita en été et qu'ils ne l'ont jamais fait. Les salauds".

Victor Van Rossem : "Comme méthode de travail, je n'ai pas l'habitude de fonctionner de manière très pratique, malheureusement. J'ai l'habitude de me lancer dans quelque chose, de m'enliser quelque part en cours de route, puis de me rendre compte du gâchis que j'ai fait. Puis je réévalue tout et j'essaie de m'organiser. J'y arrive généralement, mais ce n'est pas toujours très efficace :) 
Victor Van Rossem lui-même :

Victor Van Rossem : "En particulier, la vidéo de Black Flower a été difficile parce qu'elle impliquait beaucoup de "suppositions", d'essais et d’erreurs. Par exemple, ce n'est qu'après avoir commencé le projet que j'ai réalisé que je devais acheter une imprimante 3D pour fabriquer les caméras. Dieu merci, ces imprimantes sont devenues assez bon marché de nos jours, je ne sais pas ce que j'aurais fait autrement. Puis le premier tournage a complètement échoué à cause du système d'enroulement et nous avons dû le refaire. Résoudre les problèmes, c'est généralement 90% du processus".
Victor Van Rossem lui-même :

Victor Van Rossem : "Le projet Hi Hawai était plus détendu car il n'y avait pas tant de pression, et très amusant à travailler car les résultats des simulations étaient toujours très imprévisibles (et l'imprévisibilité était souhaitable dans ce cas). Pour ceux que cela intéresse, le projet a été réalisé dans Cinéma 4D, et il s'agit essentiellement de manipuler le système physique du logiciel. Je ne suis pas à l'origine de cette idée, pour en savoir plus voir Nikita Diakur dont je partage le travail plus bas".

Victor Van Rossem : "bwaa est un petit label de musique / une communauté que je dirige avec un ami. À l'origine, c'était un collectif de deux hommes, juste une plateforme pour partager notre propre travail. J'ai sorti un court documentaireHomeboy, sur bwaa en 2017. Ces dernières années, il s'est développé davantage en un label de musique, alors vous êtes les bienvenus pour suivre nos productions".

Victor Van Rossem : "Je me consacre davantage à l'écriture ces jours-ci, mais j'espère enfin commencer un ou deux documentaires que j'ai remis à plus tard pendant la pandémie. Je ne peux pas en dire plus pour l'instant. En ce qui concerne les vidéos musicales, j'en fais généralement une tous les 1 à 2 ans. J'en ai fait deux l'année dernière, donc maintenant j’ai fait mon quota pour un bon moment :) 
Il y a aussi un projet d'animation que j'ai en tête depuis longtemps, appelé Boat, mais je ne sais pas quand je pourrai le terminer. Il s'agit d'un bateau intelligent. Ça devrait être amusant".

Victor Van Rossem : "Je ne peux que partager ici le travail de Nikita Diakur. Pour la vidéo Hi Hawai, j'ai été très inspiré par sa façon de gérer la dynamique des animations 3D. (Voyez le génial Fest dont nous sommes très fans également)
Je crois qu'il termine actuellement un nouveau travail, dans lequel il apprend à son propre avatar à faire un backflip. C'est tout simplement génial.