On se sent immédiatement dans une certaine économie de gestes modificateurs dans les portraits détournés de Stratco. Il découpe, et colle avec une grande simplicité, peut-être parce qu’il intervient physiquement sur le papier dont on voit l’épaisseur. Nulle machine ici. Il s’agit donc de pièces uniques, ce qui les rend particulières à l'instar d'une peinture ou d'une sculpture. Comme elles sont le résultat d’une intervention manuelle, pas de retour en arrière possible, "annuler" ne marche pas. Il doit savoir où il va quand il commence à trancher.  

C’est à la fois un chirurgien esthétique qui charcute avec joie des poses de "mode" souvent féminines, et un sériel découpeur, car il développe en parallèle des familles ou "series" cohérentes de portraits que vous reconnaitrez en suivant son compte Instagram. Les glamour en couleur kaléidoscopées par grille perturbatrice sur le visage. Les reproductions noir et blanc de peinture classique dynamitées par surréalisme. Les visages de femmes cadrés serré en noir et blanc fortement dérangés par retournement intempestif d'un œil ou d'une bouche. Les silhouettes déréglées par forte interférence sur toute l’image. Et d’autres encore. Tout cela est unifié par l’esthétique de la riche matière première de magazines (allemands) des années 50/60  qu’il exploite. 

On sait bien que la sobriété et le dépouillement sont difficiles, la contrainte analogique l’y oblige un peu, et il lui suffit parfois juste des yeux retournés à l’envers dans un visage pour que ça marche. On sent une grande maitrise et c’est proprement jouissif et perturbant.
Stratco préfère maintenir une sorte d’anonymat, et laisser ses portraits parler pour lui, on peut juste vous dire qu’il habite Berlin
Mais il accepté très gentiment de répondre à quelques-unes de nos questions afin d’éclairer nos lanternes.

Stratco : "Je travaille uniquement en analogique à 100%, ce qui veut dire : J'utilise exclusivement des éléments provenant de magazines vintage (leur style et leurs couleurs sont supérieurs à tous les trucs modernes). Et j'utilise uniquement des techniques et des outils manuels (cutter, règle, colle) pour transformer les pièces. Les techniques en elles-mêmes ne sont que des moyens nécessaires à la production d'un effet de composition spécifique - mais à son tour, la qualité et la persuasion de vos œuvres dépendent fortement de votre capacité à maîtriser presque parfaitement le processus de découpage et de collage. Trouver le meilleur équilibre possible entre la dimension technique et la dimension compositionnelle est donc, à mes yeux, le plus grand défi à relever pour obtenir une œuvre - au moins partiellement – satisfaisante".

Stratco : "Je m'inspire de toutes sortes de formats visuels pour créer mes œuvres : qu'il s'agisse d'art, de films, de publicités, de disques ou de couvertures de magazines, etc. Dans la plupart des cas, j'ai déjà une idée assez claire de l'orientation de la transformation avant de faire la première coupe - mais néanmoins, l'aspect et la sensation qui en résultent sont toujours en cours de réalisation. Un certain écart par rapport au plan initial est un élément indispensable du programme" ... 

Stratco : "J'ai grandi avec des pochettes de disques vinyles, qui m'ont fortement influencé et qui sont probablement encore la raison inconsciente pour laquelle toutes mes œuvres ont une forme rectangulaire. En général, je ne vois pas les collages comme une discipline à part entière, mais plutôt comme des peintures, simplement avec des matériaux différents ; comme la technique de l'échantillonnage en musique, la transformation construit le noyau, le matériau existant est utilisé pour créer quelque chose de complètement différent ou du moins un tour significatif. 
À cet égard, la théorie fondamentale du "constructivisme radical" m'a inspiré depuis mes premiers pas dans l'art jusqu'à aujourd'hui :  La réalité n'est pas en soi un espace donné, contraignant et normé, mais une construction individuelle réalisée par le(s) cerveau(s) humain(s). 

Il y a trois ans, j'ai découvert la technique du collage comme moyen parfait de refléter cette construction individuelle de sens et de signification avec ma série "Broken mirrors". Comme je n'aime pas les étiquettes, je n'ai jamais pensé à "faire des collages" - j'utilise simplement des matériaux existants pour concevoir différents types de réalité
Des actes alternatifs" ... 
 


Stratco : "Je pourrais en vivre, mais j'essaie de garder mon indépendance financière pour deux raisons principales
Premièrement, je n'aime vraiment pas mélanger l'art et le commerce. Penser au "marché"  — qu'il s'agisse de votre galerie, de ses clients ou des likes potentiels sur Instagram —compromet tôt ou tard inévitablement votre production créative. Surtout dans le cas où vous ne produisez que des originaux (les impressions d'une œuvre analogique seraient totalement absurdes, poster des photos sur Instagram est déjà contradictoire), vous vous retrouvez immédiatement dans une certaine niche exclusive, avec laquelle — sur la base des racines décrites de mon art — je ne me sens pas à l'aise
Deuxièmement, j'aime vraiment travailler en séries et j'ai toujours du mal à imaginer de les démonter en vendant des œuvres uniques. Mon scénario idéal est donc toujours d'exposer physiquement la série complète des originaux - sans aucune arrière-pensée commerciale".

Stratco : "Voici quelques-unes de mes influences, car je me sens presque incapable de choisir seulement quelques noms. En ce qui concerne mon "influence vinyle", il faut citer Winston Smith, Mike Kelly, Raymond Pettibon et Gottfried Helnwein. Sans oublier les célèbres peintres de la Renaissance tels que Jan Van Eyck ou Rogier van der Wayden, sans oublier Francis Bacon, Joseph Beuys, Anselm Kiefer, Cindy Sherman, Mike Kelly, Gehard Demetz, etc".
Eh bien, nous, on vit sous légère influence de Stratco dorénavant, et tous cas, au moins en bonne compagnie régulière de ses portraits à l’élégance perturbée
Et on aimerait beaucoup pouvoir les voir réunies en vrai de vrai.