Ce qu’on découvre ici ne semble pas pouvoir être fabriqué par une machine, du genre ordinateur par exemple. Mais pas par un.e humain.e tout.e seul.e non plus. Oui, les bio artistes font un travail collaboratif d'un genre assez particulier. 

En fait, il s’agit plus précisément d’une humaine, qui s’est associée avec de mystérieux comparses, car il s’agit d’une étroite collaboration. Une complicité entre une artiste russe et des micro-organismes. Une armée de travailleurs infatigables qu’on peut appeler également bactéries, champignons unicellulaires, levures, et autres moisissures. Ces petites choses qui jouent un rôle essentiel dans les cycles écologiques.
Dasha Plesen est donc une bio-artiste basée à Moscou, qui pratique une méthodologie unique de culture à but artistique de micro-organismes, se développant dans des conditions et des états différents. Dasha et sa troupe d’amis produisent des images d’une psychédélique et apaisante beauté, car oui, les "moisissures" sont belles et font du bien aux yeux. Ce groupe de travail assez inhabituel demandait quelques explications, nous avons demandé à Dasha Plesen de nous éclairer.

Dasha Plesen : "J'ai commencé cette pratique quand j'étais au cours de Foundation Art and Design, et nous avions une tâche pour réfléchir davantage à notre démarche artistique et à nos futurs projets, etc... Je détestais la recherche à cette époque et j'ai décidé de me détendre et de méditer. C'est alors que m'est venue l'idée d'une cartographie microbiologique de tout ce que je touche, respire, mange et ainsi de suite, comme un microbiome universel de l'existence. (Ndlr : En anglais, le terme microbiome fait référence aux génomes (données génétiques) d'un microbiote. On parle de "microbiote" pour désigner l'ensemble des espèces microbiennes présentes dans un environnement, et de "microbiome" quand il s'agit de l'ensemble des gènes présents dans ce microbiote). 
Bien sûr, je suis dans des questions philosophiques et métaphysiques ici. Et je cherche à comprendre pas à pas comment tout fonctionne. Je suis obsédée par la science et l'esthétique des laboratoires depuis ma plus tendre enfance, je suppose que c'est pour cela que mon inconscient m'a présenté cette idée. C'est une quintessence de toutes mes passions intérieures". 
 

Dasha Plesen : "Pour mes travaux, j'ai recours à un contexte féminin, car j'utilise une cuisine comme partie intégrante de mon laboratoire, et je cuisine littéralement mes nutriments. Par exemple, je prépare des repas pour ma famille. C'est du coup très proche des idéologies de genre strictes, selon lesquelles les femmes appartiennent à la cuisine, au nettoyage, etc. C'est mon hommage inversé ou opposé à ces notions. Elles sont sous-jacentes, mais c'est un aspect très important. Après avoir cuit le nutriment, je verse le liquide dans les boîtes de Pétri (Ndlr : une boîte cylindrique transparente peu profonde, munie d'un couvercle) et c'est là que commence ma partie de la pratique. Je fais donc la toile de base, en mélangeant ces différents matériaux et autres liquides supplémentaires que j’ajoute. Puis c'est une nouvelle ère de coworking qui démarre, où les organismes jouent un rôle crucial sur la même scène artistique que l'homme". 

Dasha Plesen : "Pour ce qui est des réactions devant mon travail, les russes réagissent comme ça : "Omg, c'est de la dégradation, de la stupidité et de la merde, wtf, ce n'est pas un art, allez vérifier mon frigo" et ainsi de suite … Environ 80 % de négativité et de critique totale. Mes amis et les gens qui aiment ce que je fais réagissent comme suit : "c'est l'une des plus belles choses que je n’ai jamais produites, wow ! Des textures incroyables, wow ! C'est tellement inspirant ! Je me sens comme une merde et déprimé, mais la moisissure est si belle et magique, cela m'inspire beaucoup et je veux l'accrocher sur mon mur". 
Tout ceci est donc une question de perception personnelle et d'état d'esprit, tout est une réflexion. Vous contrôlez votre humeur, vos réactions, la façon dont vous vous comportez, d'être en colère ou d'être heureux

Dasha Plesen :  "Parfois, j'ai envie de dire - non, ce n'est pas de la merde, c'est ma pratique artistique, c'est à propos de l'amour, de la nature, de la science, des cycles de Vie et de l'Univers, mais alors - si c'est votre reflet - qu'il soit avec vous" !

Dasha Plesen : "Pour le futur, un de mes rêves est d'imprimer des énormes cercles (de moisissures) en haute qualité dans une galerie de cube blanc, des pièces de 3 mètres. Mais aussi de travailler sur des interconnexions avec la mode et le design industriel, car je vois beaucoup de similitudes entre ces structures fongiques et bactériennes et le "quotidien" qui nous entoure. 
Et enfin, j’aimerais essayer de trouver la meilleure méthode de conservation, comme la résine ou similaire. Mais je ne suis pas encore sûre de vouloir les fixer (les structures fongiques et bactériennes), et est-ce qu’elles se décomposent pour la fin, ou se décomposent pour la suite ? (Grande question philosophique et ésotérique …  Haha !)" 

Dasha Plesen :  "Et Pour finir, je jure que les structures fongiques et bactériennes ont une sorte de conscience et j'aime jouer avec elle :))))" 
Et nous, on aime ce que ces petites choses produisent sur nos yeux et nos consciences esthétiques.