La caractéristique obligatoire des clips des années 60, c'était le playback. Il est désormais possible d’en proposer une version faite main en se filmant au smartphone chez soi, sans même faire appel à un chanteur. Démonstration.
Une façon de travailler existant de plus en plus chez les artistes 3D est d’être capable de tout faire tout seul, et ceci grâce à l’offre logicielle en explosion permanente. C’est le cas de Jordan Clarke, de Vancouver, pour ce clip sur un morceau chanté par son ami, l’étrange Des Hume. Outre la richesse visuelle de sa 3D, son originalité supplémentaire est d’avoir axé son clip sur son propre visage filmé devenu un masque animé par un traditionnel playback. Il en offre une sorte de déclinaison mise à jour. La synchronisation des masques animés sur les paroles est son point de départ, puis tout tourne autour des visages prenant toutes sortes de formes et d’aspects. Par ce fil conducteur du chant rendu évident visuellement, il s’est permis un enchainement fluide d’univers mécaniques très différents.
Comme tous les artistes 3D, c’est un acharné-passionné, et, comme tout passionné, il adore partager ses découvertes. Il nous a donc détaillé étape par étape, logiciel par logiciel, comment il s’y est pris pour aboutir à ce résultat. Et surtout, utilisant un procédé désormais accessible de mocap, comment il a pu générer par lui-même le lipsync de ses masques. Un pas de plus vers l’autonomie totale. (Concrètement, la mocap ou motion capture va " capter " les mouvements dans l’espace à partir d’un acteur bien réel, pour ensuite les retranscrire sur un modèle virtuel en 3D).
Malgré tout c’est une autonomie ultra-chronophage, et le nombre d’heures passées est colossal.
Mais quand on fait les choses par plaisir, comme c'est son cas, et pour un ami, cela ne compte pas.
Jordan Clarke : " Je me suis mis à la 3D parce que ça me permettait de faire tout seul beaucoup des choses pour lesquelles il faut habituellement une grosse équipe. Il y avait beaucoup de nouveaux outils qui permettaient d'obtenir un look très cinématographique sans avoir un tas d'ordinateurs déments connectés ensemble. Je pense aussi que j'étais naturellement doué pour ça. Je ne savais pas très bien dessiner, mais les logiciels m'ont permis de sortir des choses qui étaient dans mon cerveau et que je ne savais pas exprimer avec un crayon ou un pinceau ".
Jordan Clarke : " Ce projet a commencé d'une manière très peu traditionnelle, et je pense que c'est la raison pour laquelle ça a plutôt bien fonctionné. J'ai un bon ami, Des Hume, qui est constamment en train de produire des morceaux qui me chatouillent de la bonne façon. C’est un musicien incroyablement sous-estimé, dont j’adore la musique. Il appelle son travail l'Initiative Des Hume. C'est un peu comme une blague, mais c'est une sorte d'association artistique à but lucratif où il fait des expositions, dépose des pamphlets et produit de l'art ".
Jordan Clarke : " Pendant le Covid, il m'a envoyé cette chanson très minimale. C'était juste cette voix au vocoder avec beaucoup de respirations entre chacune des paroles. Ça prenait vraiment son temps et j'ai vraiment accroché. En même temps j'expérimentais un logiciel pour faire de la mocap sans studio de mocap. J'enregistrais par exemple mon visage sur mon téléphone, puis sur mon ordinateur j'utilisais ces données pour les importer dans le logiciel 3D. Ça m'a vraiment époustouflé d'avoir pu générer ce masque, cet espèce de visage robotique et j'ai trouvé que ça correspondait parfaitement à la chanson.
Je voulais que la chanson soit représentée par une chorale de masques ".
Jordan Clarke : " Je pense que parfois, les meilleures vidéos sont difficiles à expliquer et j'ai vu ce morceau dans ma tête avant même de commencer. C’était mon projet parallèle pendant que je faisais mon métier habituel (dans la publicité), une chose ludique que je faisais à côté. De ce fait, j'ai beaucoup plus expérimenté. J'ai juste été accro à ce projet, et en vérité je ne voulais pas vraiment qu’il se termine ".
Jordan Clarke : " Ma collaboration avec Des Hume a été absolument charmante, ce type est un amour absolu. Ce qui était super, c'est qu’il ne savait même pas que j'allais le faire. J'ai travaillé avec beaucoup d'artistes, beaucoup d'entre eux peuvent être très exigeants, vouloir tout contrôler, avoir pas mal d’égo, même quand cela n'est pas vraiment payé. Des Hume, en revanche, je lui ai montré le montage et il était en larmes. Il était tellement reconnaissant, il n'avait pas de mots, il disait juste : "J'apprécie tout ce que tu fais".
C'était une si bonne expérience que j'aimerais faire plus de choses pour lui. Et, encore une fois, je suis un grand fan de sa musique, donc c’était un processus très, très gratifiant. C'est la raison pour laquelle je fais ce genre de choses, parce que les vidéos musicales ne vous font pas vraiment gagner de l'argent ".
Jordan Clarke : " Je vais maintenant vous expliquer en détail tout mon processus. Au départ, je me suis filmé avec mon téléphone en train d'interpréter la chanson en synchro avec les paroles. J’ai donc traité mon visage dans cette application de mocap appelée Maxon Moves. Puis j’ai importé ça dans Maxon Cinéma 4D, je voyais si ça se synchronisait bien, et quand c'était le cas alors j'avais déjà ces données comme base. J'ai fait le blocking (donner le rythme des plans en définissant le timing et les pauses) également dans Cinema 4D, je voyais en gros comment le masque principal se comportait sans effets. À partir de là, j'ai commencé à travailler la lumière, l'éclairage de chaque scène, j'ai pris un très grand nombre d'images-clés parce que je déplaçais littéralement ces lumières à la main, je les faisais tourner autour des sujets. Je trouve que déplacer les lumières ajoute beaucoup à la 3D, ça donne de la profondeur et de la vie. C'est ce qui prend le plus de temps, parfois le rendu de certaines images peut prendre jusqu’à 8 minutes. Et il n'y a pas de moyen plus rapide de le faire.
Jordan Clarke : " Parallèlement, j’ai commencé aussi à travailler sur les textures et le design des volumes. Pour les textures, j'ai utilisé un programme d'Adobe appelé Substance, qui permet de les mélanger. Quand j'en avais marre de l'éclairage, je basculais sur la conception en volume des différents masques, j’en ai fait environ une centaine. Comme c'était juste pour m'amuser, je n'avais pas de date limite, d'accord ? Je commençais généralement par un modèle de base, dont je supprimais des parties, j'extrudais, je biseautais, pour modeler les masques qui me plaisaient. Sur la centaine, j'ai simplement choisi ceux que j'aimais le plus ".
Jordan Clarke : " Toujours dans Cinema 4D, à la fin j'ai aussi ajouté quelques effets de particules comme de la fumée et ce genre de choses. Et j'ai fait ça dans EmberGen, qui est un programme vraiment puissant pour les fluides, les flammes et la fumée ".
Jordan Clarke : " L'étape finale en 3D était le rendu. Une fois fait, je l’ai mis dans Da Vinci Resolve. Et là, j'ai vraiment affiné la couleur. Pour moi les couleurs sont très importantes, j'ai l'impression qu'en 3D, la couleur est un peu reléguée au second plan. Resolve vous permet vraiment d'affiner les couleurs complémentaires exactes. J'aime donner l'impression d'être dans un film, l'adoucissement de la 3D est agréable, je n'aime pas la 3D vraiment numérique et dure. J'ai essayé de donner une sensation plus organique. Avec Resolve, il est vraiment possible d’obtenir ce look plus cinématographique.
Jordan Clarke : " J'ai commencé par faire des vidéos de skateboard quand j'étais au lycée. J'étais toujours celui qui sortait la caméra et faisait ces vidéos de tous les skateurs locaux, je filmais sans arrêt. Grâce à ça, je me suis mis au montage sur de la musique. C'était mon camp d'entraînement pour faire des vidéos en tant qu'enfant, ça m'a permis d'obtenir une bourse pour aller à l'école de cinéma de Vancouver. J'ai toujours préféré le format court des clips, donc je me suis dirigé vers l’animation, le motion design et les VFX. Après avoir terminé l'école, j'ai obtenu mes premiers emplois à MTV et à MuchMusic dans le département créatif, et je travaillais constamment sur des projets créatifs, formats courts, et aussi en 3D, c'était nouveau pour moi ".
Jordan Clarke : " Mon inspiration, je la trouve en allant sur Instagram, Viméo, ou par des amis. Mais je trouve aussi l'inspiration en allant sur Turbo Squid. C'est une bibliothèque géante, énorme, massive de modèles, d'objets et de trucs 3D. Parfois, je mets de la musique et je fais défiler dans Turbo Squid pour voir quel genre de modèles il y a ".Vous pouvez facilement trouver un objet 3D bizarre que quelqu'un a modélisé et que vous pourriez transformer en quelque chose d'autre. Une sorte de pratique du Kitbashing, c’est à dire mélanger, détruire, mixer, assembler des modèles existants. Dans Turbo Squid, vous pouvez télécharger un objet et commencer à jouer avec, parfois il coûte à peine 20 dollars, c'est vraiment cool. Ça peut m’inspirer, je trouve que travailler directement vous donne plus d'idées que de rester assis là avec un papier et un stylo ".
Jordan Clarke : " Avec mon Instagram, je me donne des petits défis : ok, je vais faire quelque chose et je vais le poster ce soir. Peu importe ce que c'est. Comme Beeple qui poste un truc par jour (les everydays). Au fil du temps j'ai rassemblé un tas d'idées différentes et je peux commencer à voir comme un thème qui se dégage. Et puis quand un nouveau projet se présente, je peux adapter ces idées à un briefing.
J'essaie de m'amuser autant que possible. C'est le but. "