Des immeubles enchevêtrés, des tours dans des cités complexes au bord de la rupture sont les sujets inattendus pour ces canevas. Par ses points en grille, c’est pourtant un médium drôlement efficace pour de l’architecture, et les paysages urbains de Victor Siret, on les reconnait tout de suite.

Les canevas de Victor Siret, modèles uniques comme des tableaux de peinture ont le charme des arrières plans de jeux vidéo des années 80, avec leurs décors simplifiés et à plat, mais avec la douceur du fil en plus. Cette fabrication en "points" du canevas, fait penser à une image informatique basique. Comme les points électroniques du pixel art. Ses paysages urbains, Victor Siret les met en danger, les complexifie à loisir, les perturbe, y implante souvent un accident, une catastrophe imminente, une apocalypse en route. 

Et le contraste opère à merveille chez ce "paysagiste urbain" entre la brutalité de la cité au bord du gouffre et la tranquillité supposée du canevas, souvenir de ceux accrochés au mur d’un salon chez sa grande tante, en déco rassurante. C’est pour leur beauté violente du réel qu’on a envie, nous, d’avoir un Victor Siret au-dessus de notre cheminée de ville (dans laquelle on ne peut pas faire de feu). 
On s’est interrogé sur ce qui avait bien pu le pousser à réunir ensemble ce sujet et ce médium, alors, on lui a demandé
Et il nous a répondu gentiment.

Victor Siret : "Cette série de paysages urbains étranges je l'appelle "les pagailles iconographiques", cela m'est survenu lors de la lecture de "Learning from Las Vegas" de Venturi, Brown et Izenour, ils évoquent le désordre iconographique des "suburbs" qui mélangent une multitude de simulacres architecturaux anachroniques, de différents styles". 

Un petit brin d’explication s’impose concernant ce livre inspirant et très important dans l’histoire de l’architecture et pour ce courant en particulier qui est le "postmodernisme".
L'Enseignement de Las Vegas (Learning From Las Vegas) est un essai paru en 1972 qui a eu une influence majeure sur l'émergence du postmodernisme. Courant né aux États-Unis et en Europe fin 70, et qui reste le style dominant dans les villes de jeux ou de loisirs genre Las Vegas, Dubaï, ou le quartier Val d'Europe. Il a émergé pour échapper à la situation pesante et trop sérieuse des principes officiels de l'idéologie du Modernisme (inspiré des formes d'architecture conçues sans architecte par des ingénieurs : usines, silos à grain, paquebots), 
Un exemple d'architecture post moderniste, le M2 Building, à Setagaya, Tokyo, Japan, par Kengo Kuma en 1991.

Les post modernistes ont aimé se moquer du fait que, depuis les années 50, les formalistes du Modernisme vont progressivement se diversifier et donner naissance à des esthétiques aussi diverses que le brutalisme, l'architecture organique, le high-tech, et ceci de façon décomplexée.
Les styles s’entrechoquent dans les villes en un gros mélange improbable
Ce qui a inspiré Victor Siret.


Fin 70, les architectes postmodernistes en rupture radicale, ont cherché à rétablir une connivence avec le public, empruntant volontairement des voies humoristiques ou les ressorts du jeu d'esprit, acceptant de se renchaîner dans les traditions classiques qu'ils redécouvrent, et avec lesquelles ils veulent jouer
Des architectes joueurs et facétieux somme toute. 
Voici une vidéo en animation (mais en anglais) qui le raconte très bien :

Après cette digression post-moderniste, revenons à Victor Siret chez qui on trouve ce même intérêt pour l’architecture et pour l’humour. Humour déjà simplement dans le fait de s’exprimer en canevas. Médium catalogué comme "pas très sérieux", et dans son cas héritage familial certain.
Victor Siret : "J'ai commencé la broderie il y environ 10 ans, c'est ma grand-mère maternelle qui m'a appris les différentes techniques textiles (point de croix, demi-point, etc…) ". 

Victor Siret : "L'inspiration me vient un peu de tout, ça peut être juste de vouloir user de telle ou telle couleur de fils, d'une forme gribouillée dans un coin de page que je trouve jolie, de l'architecture états-unienne mais surtout de souvenirs télévisuels". 

Victor Siret : "J'essaye de plus en plus d'avoir des vraies étapes de travail, car avant, je n'avais pas vraiment une manière fixe de travailler. Je commence par un dessin en noir et blanc, puis j'y ajoute de la couleur, je choisis après les références de couleurs pour les fils, je dessine sur une toile à canevas, je tends ma toile sur un cadre, puis armé de mon aiguille, je fais mon remplissage point par point". 

Victor Siret : "Je partage avec vous l'artiste Madelon Vriesendorp qui a notamment illustré le livre "New York Délire" de Rem Koolhaas, j'aime beaucoup le fait qu'elle ait personnifié les bâtiments dans ses dessins et courts métrages. En plus, elle collectionne énormément d'objets de la culture populaire. C'est une grande source d'inspiration".
Édition de 1978 :